

Artiste Odawa et porteuse de la tradition anishinaabe, Dolorès Contré Migwans, ou Boujig'ebessa de son nom autochtone, nous fait vivre une expérience transculturelle par le truchement d’images évocatrices, de légendes mythologiques et de réflexions. Il y a là de précieux
ekinamadiwin (enseignements traditionnels autochtones).
TABLE DES MATIÈRES
Quand le soleil rencontre la 13 ͤ lune
Boozhoo! Je te salue et te reconnais comme le ou la descendante de l’Ani-nishina-abe, Premier-être-humain-placé-sur-Terre et rend hommage à notre Premier enseignant Wanayboozhoo.
Je te rencontre où que tu sois et te parle en mon nom, en celui de mes ancêtres et en celui qui habite en moi. De moi, tu peux apprendre que le langage est d’abord symbolique et la parole sacrée. J’appartiens à un peuple issu de la tradition orale qui a développé la mémoire de son histoire et de ses origines mythologiques. Seuls les e-ki-na-ma-di-win, enseignements importants et prophéties ont été dessinés, gravés ou peints en pictogrammes* et conservés sur des rouleaux en écorce de bouleau ou sur des peaux de cervidés. Seuls quelques initiés, aujourd’hui, peuvent encore les décoder.
Depuis plus d’une vingtaine d’années, je m’intéresse, en tant qu’artiste appartenant à la culture Odawa, au langage symbolique des cultures autochtones. Sans dire que j’en suis devenue une spécialiste, je dirais plutôt que j’ai appris à intégrer leur contenu mystérieux dans ma pratique artistique pour exprimer ma relation avec le sacré. Pour nous, la nature est sacrée. C’est donc dire que les formes symboliques utilisées ou réinventées sont puisées dans le répertoire mnémonique de l’artiste qui vit en relation avec la nature.
Dans le monde cyclique des saisons et des lunes, les Ani-nishina-abec, ont adopté depuis des millénaires, un mode de vie nomade ou semi-sédentaire dans le but de « prendre soin de la Terre-Mère que le Créateur leur avait donnée » ou en d’autres mots, de gérer les ressources du grand territoire des Forêts de l’Est et boréale (se situant aujourd’hui des provinces atlantiques descendant la Côte-Est jusqu’en Virginie aux États-Unis, s’étendant ensuite à l’est du Mississippi, et remontant jusque dans la région des Grands Lacs et plus au nord à la baie James, pour ensuite continuer vers le Nord-ouest canadien, jusqu’aux montagnes Rocheuses). Afin de mieux connaître et respecter les lois naturelles et cosmiques, ils ont conjugué avec art la pratique de la science et de l’amour pour la Terre-Mère, en développant une culture, une langue et des rites sociétaires permettant de maintenir l’équilibre entre les ressources physiques et métaphysiques.
Dans cet univers, le peuple Ani-nishina-abec a fait l’apprentissage de techniques de survie fort ingénieuses et d’un savoir-faire médicinal des plus remarquables, grâce au Premier enseignant Wanayboozhoo qui a transmis à nos grands-parents, les e-ki-na-ma-di-win, les connaissances et les enseignements qui, à leur tour, nous ont été transmis dans un mode d’apprentissage en harmonie avec Toute-Chose-Venue-de-la-Création animée et en parenté les unes aux autres. Dans ce contexte, la société humaine demeure régie par les mêmes principes de vie indissociable à l’origine mythique de la création. Subsiste un des mythes les plus puissants, celui de l’histoire de la Création, que nous retrouvons chez la plupart des peuples Algiques et Iroquoïens en Amérique du Nord et ailleurs à travers le monde, là où la croyance au culte de la Déesse-Terre-Mère ne s’est pas éteinte, là où le temps se vit en relation avec toutes choses en évolution avec la Création.
* Pictogramme : terme décrivant l’écriture symbolique utilisée par les Anciens de la Loge de la Midewiwin.
Note : vous pouvez entendre la prononciation des mots soulignés en cliquant sur ces mots.
Note : vous pouvez entendre la prononciation des mots soulignés en cliquant sur ces mots.
« nuit la plus longue de l’année » en veillant les Esprits de la Nuit jusqu’aux premières lueurs de l’aube afin que la lumière puisse vaincre l’Obscurité du Monde et que renaisse l’espoir de vie en leurs cœurs.
En décembre, c’est Munido Gisonhs, la Lune du Petit-Esprit, celui de la Transcendance, mystérieuse lumière vénérée depuis la nuit des Temps, active, diffuse et qui nous garde en éveil.
Durant la période du Solstice d’hiver, les familles Ani-nishina-abec se réunissent autour du feu pour entendre les aînés raconter le mythe de la Création. Ils célèbrent la
Par exemple : en novembre, chez les Odawa, on l’appelle Bashka-kodin Gee-zis, la Lune du Givre, mois de la coopération, du côté pratique et de l’introspection intérieure qui coïncide avec le temps de la chasse à l’orignal, dernière ressource généreuse avant les durs froids d’hiver.
Dans ma langue, on décrit la personne-qui-dessine, mzin-bii-gew-nini, comme étant celle qui porte et transmet les éléments culturels permettant de comprendre les e-ki-na-ma-di-win. Il n’y a pas de terme exact pour désigner un artiste, car nous pouvons tous faire, fabriquer et façonner quelque chose. Cependant, il y a des rôles définis pour ceux qui dessinent. C’est pourquoi je « fais » avec la Matière-Esprit sous forme de pictogrammes, dans le but d’unir nos cœurs, nos vues et nos pensées dans ce Tout.
J’ai réalisé, il y a quelques années, une installation intitulée : Les treize Lunes », composée de treize œuvres circulaires évoquant chacune une lune dans l’espace. Basés sur le calendrier lunaire ancestral et le cycle des saisons, ces treize mois du cycle lunaire que l’on appelle Geezis (astre) permettent de vivre une expérience transculturelle par le truchement d’images évocatrices, de légendes mythologiques et de réflexions que je partage sur son contenu.
Elles portent chacune un nom dépendant de la culture et des
saisons auxquelles elles sont associées.
esprit qui a été révélé au grand-père. » Chacun remercie les Gardiens de la Tradition, les Mères de Clan, tous les éléments et les Dodem de la création pour leurs bontés et la vie qui leur a été donnée par le Créateur. Des chants et des prières sont dits à cette occasion afin d’obtenir assistance et protection pour la Nouvelle Année qui s’en vient.
Quand dans la Grande Migration des Peuples, Kitche-Manito, l’Esprit-Très-Haut, a guidé nos pas afin que se révèle notre grand dessein, des symboles et des objets sacrés se sont présentés à nous. Ces images imprégnées dans le Sang-des-Rivières-du-Cœur-de-la-Terre-Mère qui coule dans nos veines émergent de temps à autre, au fil des lunes tantôt sombres tantôt éclairées par le soleil, comme un rituel de guérison aidant à renouer avec les pouvoirs des Dodem, Esprits-Protecteurs sous forme Animale-Végétale-Minérale, en situation d’osmose, c’est-à-dire, en interpénétration d’état de l’un et de l’autre. Les Dodem véhiculés dans les lunes sont à la fois une représentation symbolique de l’identité personnelle et collective qui se construit en relation avec la Terre-Mère et les pouvoirs cosmiques.
Les festivités de la mi-hiver débutent cinq jours après la nouvelle lune de janvier; c’est alors Munido Gee-zis, la Lune de l’Esprit du Commencement. Selon les coutumes autochtones, des jeux, des danses, des offrandes et des cérémonies y sont consacrées durant six jours. Mais la quatrième journée est marquée par la Cérémonie des Noms. C’est l’occasion pour les membres de la communauté de confirmer les noms des nouveau-nés (ou Petite Lumière) provenant de tous les clans en marquant les quatre directions, comme les saisons. « Chaque enfant reçoit un nom donné par un
Note : vous pouvez entendre la prononciation des mots soulignés en cliquant sur ces mots.
Lune de défi, son message est celui des forces cosmiques, comme une balance qui vacille entre le Monde du Chaos et celui de l’Ordre, dans les nuances de l’Obscurité et de la Lumière, dualité représentée par les Jumeaux de la Création enfantés par Geezhi-Go-Kwe, la Femme-du-Ciel qui, après le déluge, a réorganisé le Monde sur le Continent de la Grande Tortue sur lequel nous habitons maintenant. Ce continent où nous t’avons accueilli mon frère et partagé ces e-ki-na-ma-di-win en vue d’unifier nos pouvoirs et nos forces. Mais où se trouve Nee-kon-nis-i-win, le Visage de la Fraternité ?
« Les mythes nous disent que c’est du fond de l’abîme que retentit la voix du salut. Le moment le plus sombre est celui qui précède la véritable transformation. C’est des ténèbres que jaillit la lumière », raconte Joseph Campbell, grand mythologue américain. Il poursuit en disant que le mythe est le rêve d’une société, de l’expression de la sagesse des peuples, mais qu’il s’agit cette fois de la rendre à l’échelle planétaire. Or, existe-t-il un mythe éternel et universel qui a le pouvoir d’unifier le genre humain ?
À chaque fois, que je raconte la légende de Geezhi-Go-Kwe, la Femme-du-Ciel, j’invoque son esprit, non seulement pour célébrer mon origine et son existence immatérielle incarnée, mais parce que la réflexion que je fais au moment où je vis l’événement me transforme, agit en moi, m’habite et devient vital pour ma propre évolution humaine. Cela me permet de gérer des situations difficiles dans ma vie quotidienne, de retrouver un équilibre après une période chaotique et de transcender la douleur dans l’intemporel. Le mythe voyage, il est à la fois mon passé, mon présent et mon avenir.
Ce que je tente de transmettre en tant que mzin-bii-gew-nini, c’est la force intérieure que je reçois à travers cette expérience d’oraison. Je le fais durant le processus de création en communiquant avec l’Esprit des Choses. C’est précisément à ce moment que je traverse les frontières du non-dit et à l’aide de sentiments intenses, de gestes et de pensées, apparaissent les couleurs, les sons, les mouvements et les visions sous forme d’images, de chants et de danses.
Le mot tradition ne signifie pas une coutume immuable, mais bien plutôt un mode de vie basé sur les cycles de la création, en perpétuelle évolution et sujet aux changements. Quand un nouveau concept, un pictogramme, un chant ou une danse deviennent traditionnels, cela veut dire que notre compréhension de l’univers s’enrichit au fil des générations dans une continuité du mythe, transmettant et interprétant oralement au besoin, de nouvelles leçons de vie en lien avec les e-ki-na-ma-di-win anciens qui nous ont été apportées par Wanayboozhoo.
C’est dans ce processus que tout ce que nous faisons en relation avec le Cercle de la Création devient sacré et porteur de sens. Cette expérience réinvestie stimule notre pouvoir créateur, celui de se recréer, de se transformer, de devenir et d’être.
Le terme transculturel cité plus haut, signifiant au-delà des cultures, peut-il décrire une expérience spirituelle de toute une vie et de celles précédentes ? Gaston Bachelard, philosophe français du XXᶱ siècle, affirmait que : « Les résonances se dispersent sur les différents plans de notre vie dans le monde, le retentissement nous appelle à un approfondissement de notre propre existence. » Chaque lune apporte son contenu en relation avec les saisons. Les saisons influencent notre mode de vie qui est lié aux énergies de la Terre-Mère et à celles du Cosmos.
Paix et Amitié dans le Grand Cercle de l’Unité. Migwetch!
Dans bien des sociétés autochtones, on vénère la tortue, symbole de la Terre-Mère, d’abord parce qu’étant très ancienne, on dit que c’est elle qui « calcule le temps. » En effet, on peut compter exactement treize écailles sur sa carapace. Ce nombre signifie beaucoup de choses symboliquement, comme le déséquilibre, la transformation et la renaissance.
Des Munido, terme décrivant le Monde des Esprits, en tant que vie-énergie ou âme, vivent dans Geezis, prenant des formes stylisées, animales ou végétales. Je peins avec des énergies colorées, utilise la ligne fluide pour traduire ma relation intime avec la Terre-Mère, chante, danse et raconte des légendes avec mon tambour, son de la vie, cœur qui bat. Je t’invite à faire partie de ce tout en te communiquant mon mode d’expression transdisciplinaire, relié à une source intarissable du pouvoir créateur pour cette rencontre du soleil et de la lune, la treizième, la méconnue, l’insaisissable.
Quelle est cette treizième Lune ? Pourquoi est-elle si importante ? Comment son mythe se réactualise-t-il dans le contexte d’aujourd’hui ? Quels sont les e-ki-na-ma-di-win que nous avons perdus et retrouvés intuitivement en nous ou captés dans l’univers de nos ancêtres ?
Geezhigokwe, la Femme-du-Ciel
Les Autochtones conçoivent le monde de la création comme étant inscrit dans un cercle de vie. C’est pourquoi mon tambour est rond, car il représente le ventre de notre Mère-la-Terre. Écoute le son de Tewigan le tambour, c’est le son de la vie, c’est le cœur qui bat! Écoute Tewigan le tambour, il va te raconter le récit de Geezhigokwe, la Femme-du-Ciel. Ce récit fait partie de l’origine de mon peuple, perçu à travers les yeux de mes grands-parents et transmis en héritage. Garde-le près de ton cœur et bien imprégné dans ton esprit.
« Au commencement, qui n’a pas de commencement, Kije-Manito, Grand-Esprit-Créant-tout-l’Univers, avait partagé ses dons à tous les êtres vivants, aux roches, aux plantes et aux animaux, ceux qui nagent, volent, rampent ou se déplacent à quatre pattes, afin qu’ils puissent vivre heureux et en accord avec les lois naturelles.
Puis, Kije-Manito a créé l’Anishinaabe, l’être humain, et lui donna un don précieux, celui de la vision ou la capacité de rêver. Chacun avait une tâche à accomplir pour respecter les lois naturelles, vivre en harmonie et assurer son bien-être. Kije-Manito faisait partie de la musique, des rires et des larmes, du courage et de la peur, du pouls de toute vie. Cependant, les Anishinaabeh ne purent perpétuer l’harmonie entre eux.
Soudain, un grand déluge! L’eau débordait de partout! Bientôt la terre, les montages et les arbres furent inondés. Beaucoup de plantes et d’animaux périrent, engloutis sous l’eau. L’équilibre entre la terre et l’eau était rompu. Tous les Anishinaabec sont morts.
Cependant, ailleurs, il y avait un autre monde habité par le Peuple-du-Ciel. Les quelques survivants du déluge qui savaient nager comme la tortue, le castor, le rat musqué, la grenouille et les poissons appelèrent Geezhigokwe, la Femme-du-Ciel, la priant de leur venir en aide.
Geezhigokwe, la Femme-du-Ciel, entendit leur appel. Elle descendit à travers les nuages, aidés des canards et des oies sauvages qui demandèrent à Mishkehn la Grande-Tortue, de refaire surface pour que Geezhigokwe puisse déposer ses pieds sur son dos.
Geezhigokwe demanda aux animaux d’aller lui chercher un peu de terre au fond de l’eau. Amik, le castor s’offrit en premier, hélas, il revint noyé, le corps complètement retourné. Maang, le huard plongea à son tour, mais ne revint jamais. Inquiets, les animaux se regardèrent. C’est alors que l’on entendit une toute petite voix : « Moi j’irai rapporter un peu de terre du fond de l’eau. » Elle venait de Wazhashk, le Plongeur, le rat musqué.
Il plongea de plus en plus profondément et après un certain temps, ressortit, à son tour le corps complètement renversé. Mais Geezhigokwe recueillit entre ses griffes trois grains de sable. Doucement, Geezhigokwe étendit de la terre tout autour de la carapace de Mishkenh la Grande-Tortue. Puis, elle donna un nouveau souffle de vie. La terre se mit à grossir et à grossir jusqu’à ce qu’elle prenne la forme d’une grande île.
Alors Amik, le castor construisit des digues permettant de retenir l’eau et d’assécher la terre, Wazhashk, le rat musqué creusa des rigoles et Geezhigokwe se mit à semer des graines dans la terre afin de faire pousser le maïs, la courge et le haricot. Elle leur donna le nom des Trois Sœurs.
C’est sur cette île que la Femme-du-Ciel donna naissance à un garçon et à une fille, Anishinaabeh et Anishinaabekwe. Maintenant, le cycle de vie était complété. La Création, la Destruction et la Renaissance.
Quand le peuple Anishinaabec fut en sécurité, Geezhigokwe, la Femme-du-Ciel, appela tous ses enfants de la terre et leur annonça que c’était le moment de repartir chez elle dans le ciel. Et lorsque leur vie à leur tour prendrait fin alors, ils pourraient la rejoindre là-haut.
Depuis, les Anishinaabec prennent soin de la Grande Île, qu’ils appellent avec respect, notre-Terre-Mère, autrefois Mishkehn la Grande-Tortue, en souvenir de Geezhigokwe, la Femme-du-Ciel, qui leur a donné vie et qui a permis la renaissance du monde! »
Note : Ce récit a été recomposé par l’auteure et conteuse Dolorès Contré Migwans à des fins éducatives après avoir entendu plusieurs versions algiques et iroquïennes de l’histoire de la création ou du récit de la Femme-du-Ciel.
Le récit de l’Arbre de Vie
« Au commencement qui n’a pas de commencement, Kije-Manito, le Créateur-de-tout-l’Univers, avait planté un Arbre de Vie, l’arbre sacré, pour tous les Enfants-de-la-Terre. L’arbre était grand, l’arbre était fort, ses racines puisaient dans le ventre de notre Mère-la-Terre et ses branches touchaient notre Père-le-Ciel! Les Enfants étaient protégés à l’Ombre de l’Arbre de Vie, nourris par les Fruits des Sept Grands-Pères. Des fruits de Sagesse, de Courage, d’Honnêteté, de Franchise (Vérité), de Compassion (Générosité ou Amour), de Bravoure, d’Humilité et de Respect envers notre Mère-la-Terre.
Un jour, un enfant s’éloigna de l’Arbre de Vie et bientôt tous les autres enfants partirent à sa recherche, mais ils perdirent leur chemin. Ils ont faim, ils ont soif, ils se mettent à voler, à mentir et à se disputer. Ils se disputent tellement, qu’ils décident de se séparer.
Certains vont au Nord, d’autres vont au Sud, certains vont du côté du Soleil Levant, l’Est, et d’autres vont du côté du Soleil Couchant, l’Ouest. Les Enfants-de-la-Terre ont d’autres enfants et encore et encore d’autres enfants qui développent des modes de vie différents selon l’environnement et le climat. Même leur couleur de peau a changé. Ceux du Nord sont Blancs, ceux de l’Est, Jaunes, ceux du Sud, Rouges et ceux de l’Ouest, Noirs.
Les enfants ont oublié l’Arbre de Vie. Ils ont oublié qu’ils étaient tous Frères et Sœurs, originellement de la même Famille qui provenait de l’Arbre de Vie. Dans sa grande bonté, Kije-Manito donna à chacun des peuples des pouvoirs et des dons. Ceux du Nord reçoivent le pouvoir de l’Air, ceux du Sud, les énergies de Notre-Mère-la-Terre, ceux de l’Est, l’Esprit du Feu et ceux de l’Ouest, l’Esprit de l’Eau.
Chacun des peuples avait la tâche de prendre bien soin de son pouvoir et de ses dons afin de respecter l’équilibre de la Création. Mais chacun enviant les pouvoirs des autres, les disputes ont continué à se multiplier. Ainsi, il arrive toutes sortes de catastrophes dans le monde. Avec le feu, nous fabriquons des bombes, c’est la guerre, la destruction, l’air est maintenant pollué et l’eau contaminée. Les pouvoirs des éléments se sont retournés contre les Peuples de la Terre. Et, Terre-Mère pleure d’avoir perdu ses Enfants qui ont faim, qui ont soif, qui sont malades et qui meurent chaque jour.
Mais qu’arrive-t-il à l’Arbre de Vie? (Ici, je m’arrête et interroge les Enfants de la Terre et, recueillant leurs multiples réponses, nous continuons ensemble le récit pour conclure)
Les Aînés racontent que l’Arbre de Vie existe toujours, mais dans le cœur de chacun de nos enfants. Certains disent que si tous les Enfants-de-la-Terre revenaient au Centre de la Création, où siège l’Arbre de Vie, celui-ci pourrait faire de nouvelles feuilles et de nouveaux fruits que les enfants mangeraient. D’autres racontent que si tous les Enfants-de-la-Terre partageaient leurs pouvoirs et leurs dons en se donnant la main dans le Grand Cercle de l’Unité, alors l’Arbre de Vie deviendrait un Arbre de Paix planté sur la montagne la plus élevée de la Terre! (Le tout se terminant par un chant d’allégresse au tambour). »

Les grands-parents
Analyse réflexive
Nous pouvons nous demander pourquoi j’ai revitalisé ce récit. Quelle est sa pertinence aujourd’hui? Dans le dernier livre que j’ai publié (2013), j’explique ce qui m’a motivée à concevoir ce récit tel que je vous l’ai présenté et partagé. Durant ma carrière d’artiste et de pédagogue, il y a de cela presque trente ans :
En tant que porteuse de la tradition des « arts vivants », je monte des projets pédagogiques en collaboration avec les enseignants du niveau primaire et secondaire pour transmettre des EKINAMADIWIN (enseignements traditionnels autochtones). Ces ateliers comportent deux volets : une partie animation et une partie réalisation artistique. Ces projets s’articulent autour d’une thématique globale intitulée La Roue Sacrée ... une appellation plus accessible que j’ai mis de l’avant pour parler des EKINAMADIWIN qui proviennent de la Roue Médicinale autochtone basée sur les principes des quatre directions, couleurs et pouvoirs de la Création qui nous sont donnés. Afin de rendre ce concept moins abstrait et plus tangible dans l’imaginaire de l’élève, j’ai décidé de partager ma propre démarche artistique qui s’inspire de récits fondateurs, ainsi que des signes et symboles traditionnels puisés dans le répertoire des pictogrammes du bagage culturel Anishnaabeh. Je pars de l’endroit où se situent les élèves dans leur compréhension du sujet, ensuite, je les amène graduellement dans un univers imaginal par le récit fondateur de l’Arbre de Vie, accompagné du tambour. Puis, par une série d’activités perceptivo-sensorielles et d’images symboliques, ils sont amenés à exercer leurs facultés sensitives et intuitives en rapport avec le monde des pictogrammes qui les mettent en relation avec la cosmovision des Autochtones. Cela se fait, notamment par des exercices créatifs permettant de faire des correspondances dans lesquelles l’élève trouve plusieurs interprétations possibles au symbole créé, selon le contexte où il le situe.
Dans un contexte pluriculturel canadien, il m’a semblé important d’œuvrer à la prévention de la discrimination raciale et sociale sous toutes ses formes, en rappelant aux enfants ce pour quoi ils sont sur la Terre. Les rétroactions sont diverses chez des groupes dont la majorité sont de cultures religieuses différentes. Faisant des liens avec leurs traditions, notamment chez les Africains pour qui il existe encore en leur mémoire une histoire de l’Arbre Sacré ou des récits de la Genèse, ils reconnaissent que les valeurs qui y sont véhiculées sont semblables aux leurs. Il ne semble pas y avoir de contradiction. Il est fort possible aussi que ce récit, étant très ancien, ait subi des modifications en cours de route sous l’influence du christianisme imposé en Amérique du Nord. Par conséquent, les valeurs qui y sont énumérées correspondent davantage à la nouvelle société religieuse qui s’est développée parmi les nations autochtones. Plusieurs termes portent à interprétation multiple, par ex. : Compassion qui a été remplacée par Amour, etc. J’emploie des termes symboliques reconnaissables puisés dans la langue ancienne permettant une réflexion. Qui sont les Enfants-de-la-Terre? Qui sont les Sept Grands-Pères? De plus, les peuples des Amériques ont développé chacun une version en lien avec leur histoire géoculturelle. Il n’existe aucune seule et unique bonne version. Il est intéressant de constater qu’il y aurait un récit fondateur qui unirait toute l’humanité sous le même Arbre, même si celui-ci prend différentes formes et symboles. Plus nous écoutons, étudions et méditons sur les paroles de ces récits, plus nous élargissons notre compréhension de ce grand récit universel.
Références :
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(2013) Contré Migwans, Dolorès. Une pédagogie de la spiritualité amérindienne NAA-KA-NAH-GAY-WIN, chapitre 4, p. 103 à 130, extrait 4.1. Ma pratique de Meno Abtah, p.105. Édition L’Harmattan. ISBN : 978-2-336-30299-7.
-
(1984) The sacred tree, Four Worlds Development Press, U. Lethbridge, Alberta.
-
(2013) L’Arbre Sacré, version française traduite de l’anglais, Chef Phil Lane Jr. Préface de Jane Goodall, Éditions des Plaines. ISBN : 978-2-89611-250-0
Note sur l’auteure : En tant que métisse-Anishinaabeh des Grands Lacs (Ontario), ce récit très ancien lui a été rapporté par bribes et elle a dû le reconstituer et l’adapter à des fins de transmission dans un contexte éducatif. Dolorès Contré Migwans est une artiste-formatrice et elle dirige le Cercle d’apprentissage Docomig dans le but de transmettre les connaissances et le savoir-faire autochtones. À travers une démarche transculturelle et artistique, elle utilise une approche perceptivo-sensorielle et psycho spirituelle, qualifiée de « pédagogie par symboles ». Elle enseigne les Traditions spirituelles autochtones à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’UdeM.
Les deux-soeurs-fraises
Odaymin (fruit du cœur) Ndawema (ma sœur)
Chez nous, on dit que cela porte chance pour un couple d’avoir des jumeaux dans une famille, c’est un cadeau de la vie qui apporte protection et bénédiction du monde céleste. On raconte qu’un couple d’homme et de femme avaient pour enfants, deux vraies jumelles.
Les deux fillettes grandissaient l’une à côté de l’autre et s’accompagnaient dans tous leurs jeux. Elles ne se séparaient jamais l’une de l’autre. Leur affection grandissait tant que si une éprouvait de la peine, aussitôt l’autre, lui apportait le remède de la joie. Se disputaient-elles qu’elles se réconciliaient aussitôt, tant l’amour les unissait. Les parents étaient comblés de voir ainsi leurs filles s’accompagner mutuellement dans leur progrès et leur développement.
Ainsi, elles bénéficiaient de plus en plus de liberté dans leur va-et-vient, sachant qu’elles pouvaient prendre soin l’une de l’autre. Un jour, comme à l’accoutumée, elles décidèrent de partir pour une journée d’exploration, histoire de s’éloigner davantage pour découvrir le monde ensemble. Les parents leur conseillèrent de bien faire attention. Ainsi, elles partirent insouciantes, tout en jouant et en se poursuivant l’une l’autre.
Une des jumelles, dans sa course, énervée, tomba et se fracassa le crâne contre une roche au sol. Ou était-ce par mégarde que l’autre la poussa pour ainsi blesser mortellement sa sœur jumelle en l’assommant contre la roche? Y avait-il eu une dispute au cours de cette rivalité à la course? Nul ne le sait vraiment. Mais en dépit des supplications de la fillette, sa sœur jumelle ne reprit pas connaissance, car la vie l’avait déjà quitté.
Craignant une punition sévère de ses parents, elle décide de cacher le corps de sa sœur dans une grotte et part annoncer à ses parents qu’elle a perdu sa jumelle. Les parents partirent à sa recherche, mais en vain. Chaque jour, la fillette rend visite à sa jumelle et lui supplie de revenir à la vie.
- Oh, ma pauvre sœur, s’il te plaît, reviens! Mais seul le silence lui répond.
Malgré ce rituel quotidien où seul le silence lui répond, les années passent et le cœur de la fillette, devenue une jeune fille, se remplit d’amertume et de culpabilité. Malheureuse, elle ne peut se résoudre à garder sa faute plus longuement. Aussi prend-elle les os de sa jumelle pour les enterrer dans un champ et avoue son crime à ses parents. Le visage ruisselant de regrets, elle leur demande de la pardonner.
- Demande aussi pardon à ta sœur jumelle, lui conseillèrent-ils.
Ainsi chaque jour, elle alla se recueillir et prier sur la tombe de sa jumelle.
- Ma sœur, entends-tu ma voix? Je sais que tu ne peux revenir à la vie, mais je t’en supplie, pardonne-moi.
Ses paroles de repentir sont si sincères que deux larmes se mettent alors à couler sur le monticule de terre.
Lorsqu’elle revient au même endroit, peu de temps après, elle remarque que deux petites fleurs blanches entourées de feuilles vertes poussent exactement là où les os s’y trouvent.
Quelque chose d’étrange est en train de se produire, songe-t-elle.
À chacune de ses visites, elle demande ainsi pardon et un jour, elle aperçoit deux petits fruits rouges ayant la forme d’un cœur. Un des fruits l’interpelle :
- Ma sœur, vois, en priant tu as ouvert ton cœur à moi et je te pardonne pour ta faute. Mange un de ces fruits afin que nos cœurs soient réconciliés à nouveau.
Depuis, pendant les rituels de la tente de sudation, les femmes nourrissent les esprits des pierres — ces Grands-Pères affamés qui nous aident à purifier nos sentiments et à nous guider durant les cercles de guérison — avec des fraises en guise d’offrande, que nous appelons aussi : « Les Fruits de la Réconciliation ».
Note : Une version masculine existe aussi, il s’agit de jumeaux, Les Deux-Frères-Fraises. Le même rituel existe aussi dans les tentes de sudation où les hommes offrent aussi des fraises aux Grand-Pères Roches. Cela vaut aussi pour les rituels mixtes homme-femme.
Épilogue
J’ai entendu cette histoire pour la première fois, durant une hutte de sudation dirigée par l’Aînée Lillian Pitawanakwat, (Ojibway/Potawatomi) à Dreamers Rock sur l’île Manitoulin. Née à Whitefish River, en Ontario en 1944, elle est décédée depuis en 2011. Elle nous a légué de nombreux enseignements spirituels qui ont été une source d’inspiration pour moi. Je ne sais pas si j’ai réussi à me souvenir de tous les détails de cette histoire, mais j’espère vous en avoir transmis l’essentiel de ce que j’ai retenu. Voici deux liens (en anglais), l’un qui lui rend un dernier hommage en rapportant ses paroles et l’autre, sur un de ses enseignements sur les fraises.

Témoignage
J’ai par la suite été invitée comme artiste en arts visuels à participer à une exposition collective. L’œuvre accompagnée d’un texte sous forme de livre en tissu que j’avais fabriqué moi-même, raconte le récit des Deux-Sœurs-Fraises avec des témoignages de femmes autochtones.
Cette installation a été présentée dans le cadre de l’événement Commémoration du 6 décembre au Musée d'art de Joliette sur le thème de la violence, rendant hommage aux quatorze femmes victimes lors de la tuerie de l'École polytechnique de Montréal, qui a eu lieu en 1989.
J’ai utilisé ce récit sous sa forme féminine, tout comme Lillian l’avait fait, lorsque je travaillais avec des femmes victimes de violence conjugale.
Dans les communautés autochtones, c’est devenu un fait banalisé. Durant les années 80, peu nombreuses étaient les femmes de ma génération qui dénonçaient ces faits et qui trouvaient le moyen de s’en sortir. J’ai fait partie de celles qui ont tenté de briser le cycle de la violence par la guérison spirituelle et émotionnelle.
J’ai recueilli des paroles, des témoignages de femmes autochtones, qui sont intégrés dans mon œuvre, dont on peut lire également dans le texte-livre :
« Mon oncle a abusé de moi », affirme une jeune fille.
« Mon mari avait l’habitude de me battre, ma fille a été battue et maintenant, je vois ma petite-fille revenir vers moi, son corps meurtri de coups », me confie une grand-mère.
« Je suis mère et je veux élever mes filles en toute liberté », espère une mère.
« La violence laisse des traces... Bientôt, les femmes se lèveront avec force et courage contre cette injustice perpétrée contre elles-mêmes et leurs enfants », me dis-je.
C’est ce qui semble se produire en ce moment et ce n’est que le début. Or, la violence semble être partout, omniprésente, envers les hommes, les femmes et les enfants. Peut-on dire qu’elle fait partie de la vie, du Cercle de Vie, de la mort et de la renaissance? Et tout comme dans le récit, peut-on se réconcilier?
Grand-Mère-Araignée
tisse la toile de l'univers
Les récits autochtones de l'Amérique du Nord et du Sud mettent en scène Grand-Mère‑Araignée, qui guida les humains aux premiers temps du monde. Pour eux, il est dit aussi qu’elle déroba le feu au Soleil, ce qui explique aujourd’hui pourquoi ses descendantes, les araignées, tissent des toiles en cercles maillés de rayons.
Les peuples amérindiens tels que les Ojibwés, les Lakotas, les Creeks, les Zunis, les Tlingits, les Cherokees et les Hopis parlent de l'araignée comme d'une créature mystique aux pouvoirs étranges et mystérieux. Elle tisse sa toile n'importe où et dessine des patrons merveilleux, dignes des plus grands maîtres. Sa morsure ne tue pas; elle immobilise plutôt ses adversaires qui lui servent par la suite de nourriture. Ses habitudes alimentaires font aussi l'objet de plusieurs spéculations. Elle ne se nourrit pas de chair, mais de sang, de la substance même de la vie.
Pour les Hopis, la femme-araignée est l'une des puissances qui ont créé l'univers. Sa puissance est plus forte au cours de la nuit, car les étoiles sont les canevas où elle tisse sa toile qui englobe l'univers.
Les Ojibwés racontent que nous devons les capteurs de rêve à Grand-Mère-Araignée. Ils ne sont en fait que des microcosmes de la grande toile que tissent les étoiles. Toutes les pensées et tous les messages du jour sont piégés dans la toile, et ils se transforment en rêve. Le morcellement des pensées et des messages est la principale raison qui fait que nos rêves sont souvent incompréhensibles et qu'il faille l'aide d'un connaisseur pour les déchiffrer. Le capteur de rêves est une petite représentation de la grande toile du ciel. C'est un don précieux que nous a fait Grand-Mère-Araignée, puisque les capteurs servent à filtrer les morceaux de messages qui nous parviennent en rêve et à piéger les cauchemars et les mauvais rêves.
Qui est Grand-Mère-Araignée?
Le personnage de Grand-Mère‑Araignée ainsi que son rôle, sa fonction et son caractère varient d'un récit à l’autre. Parfois, féminine, active, modeste, ingénieuse et aimante; parfois perverse, licencieuse et rusée, car il lui arrive de se transformer en une belle jeune fille. Elle vit seule ou entourée de ses petits-enfants. Elle conduit la destinée des humains. Sa gentillesse et sa sagesse sont à l'origine de nombreuses découvertes humaines. Mais elle est impitoyable avec ceux dont les pensées ou les actions lui déplaisent.
Grand-Mère‑Araignée dispose fréquemment de deux petits-fils, souvent jumeaux. Ils personnalisent

essentiellement la dualité de l'univers. Les jumeaux sont des êtres d'action. Pour les Hopis, l'un est au Nord et l'autre est au Sud, et à eux deux ils maintiennent l'axe du monde.
Vous remarquerez que la toile d'araignée a la forme d'un disque solaire, qu'elle rayonne à partir d'un centre, et que l'araignée tisse sa toile le matin, très tôt, bien avant le lever du soleil.
La symbolique de l'araignée est liée à la notion de centre


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Asibikaashi, Grand-Mère-Araignée tisse la toile de l'univers, encre, Docomig, 2007
Elle est à la fois créatrice (fileuse, tisseuse) et destructrice (mort et renaissance). Elle symbolise l'infini et l'éternité, soit la compréhension du temps et de l'espace.
L'araignée est également un symbole de l'initiation qui nous emmène vers le retour au sacré en nous. Le corps de l'araignée a la forme du huit : deux lobes joints à la taille et auxquels s'attachent huit pattes. Pleine de talents, l'araignée est le symbole des possibilités infinies de la création; ses huit pattes représentent les quatre vents du changement et les quatre directions du Cercle de Vie.
Cette habile fileuse tisse la destinée de ceux qui se font prendre dans ses filets pour lui servir de nourriture : une destinée semblable à celle des humains qui se laissent berner par les apparences illusoires et trompeuses du monde physique et ne savent pas voir, au-delà de l'horizon, les autres dimensions de la réalité.
Grand-Mère-Araignée, c'est l'énergie féminine de la force créatrice, celle qui tisse les beaux destins. Sa toile compte des centaines de motifs élaborés qui captent la rosée du matin. L'araignée représente la manière de transmettre la connaissance à travers le tissage.
Elle tisse sa toile dans laquelle elle attire tout ce dont elle a besoin. La plupart des araignées ne se déplacent pas, mais attendent sur place que l'univers vienne à elles, comme la fleur appelle l'abeille.
Un récit de Grand-Mère-Araignée


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Asibikaashi, Grand-Mère-Araignée tisse la toile de l'univers, encre, Docomig, 2007
Au commencement, qui n'a pas de commencement, il n'y avait pas de lumière. C'était l'obscurité. Les animaux se cognaient tous les uns contre les autres dans le noir, et tout le monde se plaignait. Ils se réunirent en conseil pour prendre une décision. On se réunit tant bien que mal dans l'obscurité.
Le pic-bois à crête rouge prit la parole le premier : - « J'ai entendu dire que de l'autre côté du monde vivent des peuples qui possèdent la lumière. Peut-être que si nous y allions, ils nous donneraient de la lumière », proposa le pivert. Tout le monde approuva.
- « S'ils gardent toute la lumière du monde pour eux, ces gens-là doivent être avares. Ils ne nous donneront rien du tout. Il vaut mieux leur voler la lumière », ajouta le renard.
- « Qui se chargera de ça? », s'écria-t-on de toute part. Et les délibérations commencèrent pour savoir qui était le plus habile, le plus fort, qui courait le plus vite ou qui était le plus qualifié pour dérober la lumière.
L'opossum affirma qu'il pourrait camoufler la lumière dans sa queue touffue. Il se mit alors en route. Il atteignit la lumière, mais le soleil lui brûla les yeux et, aujourd'hui encore, l'opossum ne sort plus que la nuit. Il mit un fragment de soleil dans sa queue et prit le chemin du retour. Mais sa queue prit feu et il revint les mains vides. De nos jours, la queue de l'opossum est toujours démunie de poils.
Puis le busard essaya. Il s'empara de la lumière qu'il transporta dans son bec. Mais il se brûla et perdit les plumes de sa tête. C'est pour cela que le busard est toujours chauve.
- « Qu'allons-nous faire? », criait-on de toute part. « Nos frères ont fait de leur mieux, mais ils ont échoué. Qu'allons-nous faire pour obtenir la lumière? »
On entendit alors dans le noir une petite voix : - « Ils ont fait de leur mieux, mais peut-être qu'une grand-mère réussirait… »
- « Qui es-tu? Quelle est cette petite voix cachée dans l'herbe? »
- « Je suis votre Grand-Mère l'Araignée », répondit la voix. « Peut-être est-ce mon destin de vous apporter la lumière. Je vais essayer.»
Grand-Mère‑Araignée se mit dans le noir en quête d'argile. Elle pétrit l'argile dans ses mains et façonna un petit pot. Puis elle prit la route de l'est, laissant traîner un fil derrière elle, afin de retrouver son chemin. Elle arriva au pays des possesseurs de la lumière. Elle était si petite, si frêle et si silencieuse, que nul ne la remarqua. Elle atteignit le soleil et, délicatement, doucement, s'empara d'un morceau de lumière, qu'elle enferma dans son pot. Elle s'en revint en suivant le fil qu'elle avait tissé.
- « Nous te remercions Grand-Mère‑Araignée. Nous n'oublierons jamais ce que tu as fait et te rendrons toujours hommage. »
Depuis ce jour-là, chez les Cherokees, la poterie est un art réservé aux femmes. Les pots doivent sécher lentement, à l'ombre, avant d'être exposés à la chaleur du four brûlant. De la même manière que le pot de Grand-Mère-Araignée sécha d'abord lentement entre ses mains, dans l'obscurité, avant qu'elle n'atteigne le pays brûlant de la lumière.
Dolorès Contré
(Incluant les images de mes œuvres d’art produites et identifiées sous l’acronyme Docomig)
GRAND-MÈRE‑ARAIGNÉE TISSE LA TOILE est mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'utilisation commerciale - Pas de modification 4.0 International.

Dans les articles suivants, Dolorès Contré nous offre des extraits de son
Coffret sur une clé : pédagogie par symboles sur les traditions spirituelles autochtones
publié chez Docomig. Ces extraits sont tirés du quatrième dossier sur les onze traités dans ce coffret.
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Les Messagers ou Intermédiaires
Introduction
Les modules précédents nous ont plongé dans les cosmovisions des peuples algiques et iroquoïens ainsi que des célébrations qui y sont associées au fil des saisons. Par ailleurs, nous avons vu que la dispensation des précieux ekinamadiwin provient de messagers célestes ou de ceux que nous appelons des Intermédiaires ou des manifestations de la puissance du Grand Mystère. Bien que leur nature et leur origine nous soient encore mystérieuses, nous pouvons cependant les reconnaître par certains signes et par leurs rôles vis-à-vis de l'humanité.
Nous avons déjà fait mention de Nanabozho (Waynabozho, Manabozho ou Nanabush) chez les peuples Anishinaabeh (Ojibway, Odawa, Chippewa, Algonquin, etc.) et d'une variante Kluscap (ou Glooscap) chez les Abénakis, Mi'kmaq, Malécite et autres peuples habitant la côte atlantique.


Ancien pictogramme d'une paroi rocheuse,
Bon Echo, parc provincial, lac Mazinaw.
Nous allons en brosser le portrait. Né d'une mère humaine, Wiininwaa « nourriture », et de E‑pangishimog « l'Esprit de l'Ouest », Nanabozho apparaît la plupart du temps sous l'apparence d'un grand lièvre. On dit que ses longues oreilles sont plutôt une émanation de ses rayons puissants associés à des pouvoirs que les grands guérisseurs connaissent aussi. Il a été envoyé sur Terre pour enseigner aux humains les plantes médicinales, la bonté, la générosité, la franchise et l'honnêteté. Nanabozho est considéré comme le Grand Oncle ayant des pouvoirs surnaturels et de transformation biomorphique prenant la forme aussi d'un coyote, d'un corbeau ou d'un géant. Il a façonné le monde tel que nous le connaissons et a donné aux animaux leurs qualités. Il agit en tant qu'Intermédiaire afin de
maintenir les alliances entre le monde céleste et terrestre dans le but de respecter la Terre-Mère et de préserver ses alliés naturels.
Nanabush est le Premier Être mi-humain et mi-céleste à explorer le Monde de la Création durant les premières années terrestres et, de ce fait, ses aventures sont à l’origine de toutes les croyances transmises dans un cycle d'histoires sans fin. Doté d'un caractère double, empreint à la fois de réflexion, de connaissances profondes et du désir de découvrir en défiant les lois de la physique, voire même métaphysique, son comportement devient amusant. Parfois fripon, il devient joueur de tours, frôlant la frontière du bon sens et de la fantaisie, il n'hésite pas à briser et à déranger l’ordre normal des choses, à apporter de la turbulence et de la distraction par le biais de l'humour, nous faisant oublier le côté sérieux de la vie. Cependant, grâce à sa pensée intentionnée et à son geste expérimental, il établit de nouvelles règles pour mieux s'adapter à l'environnement. Parfois, ses intrigues amènent les Habitants Esprits-Animaux à se réorganiser, aux éléments de la nature de fonctionner autrement, toujours en s'adaptant dans un monde en continuel mouvement, selon le principe de vie.
Plusieurs récits expliquent sa conception, sa naissance et sa parenté. Nokoomis est la Grand-Mère avec qui il cohabite. Elle-qui-sait-Tout, le laisse découvrir qui il est, le sens de la vie, au fur et à mesure de ses interrogations, de ses voyages et de ses rencontres avec les êtres vivants de la Création et du Monde énergétique des Esprits. Nokoomis et son petit-fils établissent les coutumes qui marqueront le début de tout un système complexe allant de cérémonies de guérison de la Midewiwin, au deuil en tenant compte de la conscience de l'âme dans d'autres formes d'existence, jusqu'à celle de l'usage d'offrande par Aseema, le Tabac afin de reconnaître la Terre-Mère, organisme vivant doté d'une intelligence à respecter.
Leur travail est de maîtriser les forces énergétiques du champ magnétique qui entoure la Terre-Mère, les ondes, les courants et les énergies telluriques, aussi celles du chaos du monde cosmique, dans le but d'apporter un nouvel équilibre. Aussi, de mettre en place une alliance environnementale afin d’assurer que l’humain et la nature vivent en harmonie grâce à la transmission de ces connaissances. En tant que Premier Éducateur, il promet de revenir parmi les humains lorsque ceux-ci auront besoin
de lui, car il est le Gardien des croyances et des coutumes Anishinaabeh.
Dans plusieurs récits autochtones de l'Amérique du Nord et du Sud, nous mentionnons l'existence d'une échelle de communication entre le monde céleste et terrestre, car tout est interconnecté dans l'univers. Ainsi on se réfère à des êtres venus des étoiles et tout particulièrement de la constellation spatio-temporelle des Pléiares (Pléiades), appartenant à notre univers jumeau duquel nous en sommes le reflet, considérée comme un centre spirituel d'où nous proviennent les Intermédiaires. L'apparition dans l'hémisphère nord de cet amas ouvert d'étoiles marque le début des moissons et des célébrations en hommage aux Habitants du Ciel venus des Quatre Mystères de l'Univers, qui deviennent les Gardiens des quatre directions.
Qui sont ces Messagers, Êtres Lumineux, Habitants du Ciel venus des Quatre Mystères de l'Univers ? Sont-ils nos Frères et Sœurs de l'espace considérés comme nos Protecteurs et Initiateurs [1] ?

Lologramme Ojbway
Kije-Manito et son omniprésence dans le ciel et l'univers.
Le signe solaire renvoie par sa linéarité à la vie et au temps. L'Arbre de Vie, l'existence de tout ce qui est vivant, le monde de l'interdépendance des plantes et des animaux, la terre et le règne minéral, les familles, la transmission de la langue et des histoires. La constance du féminin originel et du masculin pourvoyeur de la vie.

Un rêveur du soleil, entre le ciel nocturne et la Terre, chez les Menominis cela indique l'arrivée de l'équinoxe d'automne lorsque le bras est penché et l'arrivée de l'équinoxe du printemps lorsque le bras est levé.
Maintenant que nous connaissons un peu leurs rôles à travers l'exemple de Nanabush, nous pouvons affirmer qu'ils sont venus à des moments différents de l'histoire. Ils sont apparus dans différentes régions
géoculturelles ou lieux de pouvoir pour des nations spécifiques sur le continent de la Grande-Tortue. Leur message se propage en périphérie, rejoignant le plus possible un maximum de peuples. Tout comme le soleil se lève à l'Est et se couche à l'Ouest, leur dispensation s'étend de la même manière. Bien que les enseignements, cérémonies et rituels qu'ils apportent ou qui se sont développés par la suite prennent un ancrage défini dans l'espace/temps, il y a une portée universelle non négligeable. Le but est de rappeler les bases du Cercle de Vie, de rafraîchir les Fruits de l'Arbre de Vie et de renouveler les alliances terrestres et cosmiques.
Notons que chaque peuple détient ses variantes de récits métaphoriques sur leur venue. Il faut être attentif à la provenance du récit. La source indique aussi un certain contexte socio-économique particulier ainsi que des valeurs associées aux traditions ou à des religions qui sont venues teinter le message selon des référents spatio-temporels permettant ainsi plusieurs interprétations. Le vocabulaire utilisé est souvent modifié en fonction de ces interprétations et il est préférable de se référer aux mots d'origine dans la langue autochtone pour mieux en saisir le sens intégral.
Les peuples autochtones se sont munis de moyens mnémotechniques comme des pictogrammes et des objets symboliques ainsi que l'apprentissage par cœur de chants ou la récitation en groupe dans la langue originelle afin de préserver les Ekinamadiwin. Les idées spirituelles s'expriment par des signes-pensées. La vision onirique des rêveurs est saisie par des pictogrammes ou des dessins. Dans ces dessins, les êtres vivants sont souvent placés dans l'espace cosmique. Ces motifs oniriques tels que l'étoile à huit branches représentant les directions ont une fonction de protection du monde céleste. Le symbole joue un rôle de support à la parole créatrice, à la parole forgée de métaphores, de poésie, de rêves et de récits que nous ont transmis les Messagers Intermédiaires et que nos ancêtres nous ont partagés à leur tour par la tradition orale. L’oralité devient un mode de communication visuelle qui traverse l’intuition de l'âme, c'est la voie de la vérité. La tradition orale est imprégnée par le changement autant que par la continuité de la transmission.
Note : La forme orthographique masculine en langue française est employée de manière neutre et générale, car elle comprend tout aussi bien le féminin.

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Les cérémonies
La Femme-Bison-Blanc

Bien que plusieurs versions de récits existent, l'intention ici est de mieux comprendre la base du système de croyances à travers les enseignements transmis par la Femme-Bison-Blanc. Le plus important est de retenir que celle-ci a instigué sept cérémonies, en incluant celle de la pipe de paix chez les Lakotas, qui l'ont ensuite répandue parmi d’autres peuples des Plaines et de nations en Amérique du Nord. Les Nakotas, habitant autrefois les Grands Lacs, sont venus migrer au sud et sont devenus les gardiens de la terre, là où se trouve la pierre rouge dans lequel le fourneau de la pipe a été façonné.
On raconte qu'il y a de cela 19 générations, une jeune femme, lumineuse et habillée d'une robe de daim blanc, est apparue sous la forme d'un Bison Blanc de la prairie. Devant deux chasseurs éclaireurs partis à la recherche de gibier, dont l'un a été désintégré par son pouvoir pour lui avoir manqué de respect, elle demanda qu’on lui prépare un tipi, selon le protocole de bienvenue, pour sa venue au Lakota Oyate. Puisque la société Lakota est déjà matrilinéaire, elle sera accueillie avec tous les honneurs dus à la reconnaissance de son rang spirituel élevé.
Son but est d'apporter un code moral et le secret d'une vie harmonieuse en collectivité dans un contexte où les conflits et la famine sévissaient. Elle leur donna la mission de partager ces valeurs et connaissances avec toutes les autres nations de l’île de la Tortue (l'Amérique du Nord). Elle promit de veiller sur le peuple au cours de ces quatre âges et qu'à la fin, elle reviendrait en des temps difficiles pour remédier aux abus.
Cérémonies enseignées par une femme et destinées aux hommes

Pour qu'ils puissent maîtriser leur agressivité et gérer leurs pulsions, ainsi que pour les inciter à vivre un niveau d'intensité spirituelle comparable à celui des femmes qui possédaient le pouvoir de clairvoyance et de guérison grâce à leurs « lunes », la Femme-Bison-Blanc a enjoint les hommes de participer à plusieurs cérémonies.
Selon Black Elk, à la venue de la Femme-Bison-Blanc, les Lakotas pratiquaient déjà le rite de purification dans la loge de sudation et le jeûne pour l’imploration d’une vision. Après la visite de la femme céleste, cinq autres rites leur seront révélés à travers des visions.
L’invocation avec la pipe des pouvoirs des quatre directions de l’Univers est à elle seule un rituel. Il est suivi de la Garde de l’Âme des défunts, de la danse du Soleil, de l’Adoption de membres d'autres nations en vue d'éviter la consanguinité (à l'origine d'infirmités), du Rite de Puberté des jeunes filles et du Lancement de la Balle, ces deux derniers sont rarement pratiqués de nos jours.
La Femme-Bison-Blanc consolide les croyances du passé tout en renforçant des moyens pour maintenir la cohésion sociale en définissant les rôles des individus, hommes et femmes de tout âge, avec leurs compétences, leurs habiletés et leurs talents propres, car chacun doit contribuer et prendre sa place dans le Cercle. Toutes les décisions se prennent en consensus et les porte-parole masculins sont élus par des femmes d'expérience qui les conseillent dans des moments cruciaux ou durant les assemblées.
Il est intéressant de constater que cette Envoyée de Wakan Tanka (Le Grand Mystère) repose sur une représentation du principe féminin plutôt que masculin à une époque où l'esprit masculin était déséquilibré par les luttes inutiles, la violence et le découragement dû au manque de gibier, conséquences négatives de ses actions. Il a donc fallu que ces sociétés se remettent à fonctionner sur le principe de l'équilibre entre les énergies masculines et féminines en misant sur la coopération, le partage et la bienveillance comme base d'économie sociale.
Les cérémonies ritualisées les plus connues

Mehdado (hutte de sudation), broderie de piquants de porc-épic sur une écorce de bouleau ornée de foin d'odeur
Docomig, 2015.
Le rite de la hutte, tente ou loge de sudation
fut donné aux hommes pour qu'ils puissent apprendre à éduquer leur pensée en accord avec leur cœur et leurs pulsions corporelles. Tout d'abord, grâce à la sudation, ils vivent sur le plan physique un nettoyage intense permettant l'expulsion des toxines corporelles par les pores de la peau. Ensuite, grâce à une communication ardente avec les Alliés, à des chants et à des oraisons, ils peuvent exprimer leurs émotions et accéder à l'état de clairvoyance. Lorsqu'elles sont dominées par une émotion, les humeurs, par exemple la colère, la tristesse ou la peur, engendrent une souffrance qui parfois devient incontrôlable et peut même dégénérer en une violence excessive. Ces troubles d'ordre émotionnel peuvent se soigner dans un lieu sûr,
paisible et bienfaisant. Ainsi, la tente de sudation reconstitue le milieu fœtal, le ventre de notre Mère-la-Terre, où les hommes peuvent apprendre à maîtriser leurs émotions trop longuement refoulées. Autrement, celles-ci nuisent à la santé mentale et physique, voire holistique, et influent sur les actes et le comportement. Grâce à ce moyen, les hommes reprennent des forces morales qui leur permettent de remplir leurs obligations familiales et sociales.
En 1975, le collège des anciens des peuples Lakota constata que l'art de passer la « porte des lunes », expression qui signifie avoir accès aux connaissances de Grand-Mère Lune, avait été perdu chez les jeunes femmes modernes. Ainsi, il les autorisa à entrer elles aussi dans la hutte pour qu'elles y retrouvent leur état de clairvoyance et leur place dans une société semi-patriarcale. Aujourd'hui, le rituel est donc mixte.
Allié spirituel
sous la forme
d'un faucon.

L'imploration d'une vision se passe en pleine nature. Il s'agit de quatre
jours de prières et de jeûne pour que l'Esprit, Wakan Tanka, accorde
une vision signifiante qui nourrisse l'âme et oriente le jeune
homme, souvent en rituel de passage vers le monde adulte,
vers l'accomplissement de sa destinée. Durant cette période, la
privation de toute nourriture nettoie l'organisme et exacerbe les
sens de sorte que des rêves endormis ou éveillés, mais réels, peuvent
révéler un message signifiant qu'un Aîné expérimenté pourra interpréter.
Il se peut que des Alliés spirituels prenant une forme semi-animale
apparaissent, tout comme d'autres visiteurs du monde céleste.
La danse du Soleil

Croquis de la danse du soleil des Lakotas par l'artiste George Catlin (vers 1851).
La participation à la cérémonie de la danse du Soleil durant le solstice d'été est le résultat d'un vœu, d'un désir de l'âme. C'est un appel qui exige des préparatifs ainsi qu'une discipline physique et morale rigoureuse. C'est une épreuve douloureuse, librement choisie et consentie, qui permet à l'homme de vivre une intensité comparable à celle de la femme lorsqu'elle accouche. Cette intensité le fait entrer dans l'état du voyant guérisseur pendant quelques jours. Des scènes passées, présentes et futures déferlent dans un mouvement circulaire, non chronologique. Elles lui font traverser toute une gamme d'émotions et d'impressions. Ensuite, plus rien. Le cerveau libère les endorphines nécessaires à l'endurance et seules importent la communication avec les rayons lumineux, la proximité avec le Grand Mystère. Certains peuvent recevoir des révélations, entrer dans un état de transe ou d'euphorie pour un moment, prier, chanter, jouer du sifflet, pleurer ou hurler, toujours soutenus physiquement et psychologiquement par des guides spirituels et accompagnés par les membres féminins de la famille. Il s'agit d'un acte de sacrifice, d'un don de chair et de soi du lever au coucher du soleil qui s'accompagne de jeûne et du rituel de la hutte de sudation. C'est une épreuve de résistance et de persévérance.
Note : La forme orthographique masculine en langue française est employée de manière neutre et générale, car elle comprend tout aussi bien le féminin.

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La pipe de paix – aussi appelée « pipe sacrée » ou « calumet cérémoniel de paix »
La Femme-Bison-Blanc enseigna au peuple comment se servir de la pipe de paix, tel que décrit par Archie Fire Lame Deer :
« Elle tenait au creux de ses mains la Ptechinchala Hulu Chanunpa, la pipe sacrée entre toutes, taillée dans l'os du jarret d'un jeune bison. Cette pipe n'était pas de fabrication humaine. C'est Wakan Tanka, le Créateur, qui l'avait façonnée. La Femme-Bison-Blanc marcha sur les brins de sauge répandus sur le sol en chantant et pénétra dans la hutte préparée à son intention, où elle s'assit à la place d'honneur. Puis elle prit le tuyau dans sa main droite et le fourneau de sa main gauche, unifia les deux parties de la pipe, la bourra avec du chan-shasha, un tabac à base d'écorce de saule, en entamant un chant. »


Cette gestuelle avec chants et paroles en oraison sera dorénavant toujours répétée ainsi, car il s'agit de repères perceptivo-sensoriels qui impliquent un mouvement démontrant la relation avec le vivant.
La Femme-Bison-Blanc alluma la pipe et expliqua la symbolique du Cercle de Vie, du Feu Sacré qui doit être transmis de génération en génération. La fumée devint ainsi le souffle du Grand Mystère s'élevant vers le ciel puis descendant vers la Terre-Mère, vers les quatre directions de l'Univers. La pierre du fourneau représente le bison à quatre pattes et ses quatre âges, mais aussi la chair et le sang de l'homme rouge qui se tient debout en formant un pont entre les deux mondes. C'est l'union en une seule famille avec la terre, le ciel, tous les êtres vivants de la Création, le tuyau de bois symbolisant précisément les arbres et la végétation.
Sur le fourneau de la pipe sont gravés sept cercles représentant les sept cérémonies que le peuple doit pratiquer avec les autres nations, car c'est la pipe qui les tient toutes ensemble. Le nombre sept fait appel aux sept Pierres, nos Grands-Pères les plus anciens de la terre. Les aptitudes qui en découlent sont le sacrifice (au sens du don de soi), la compassion, la persévérance, la générosité (au lieu de l'honnêteté), la bravoure, la justice, la gratitude, l'honneur (ou la fierté au sens de la dignité) le respect, le courage et la vérité. La danse des cerceaux exécutée avec prouesse symbolise tous ces dons, capacités et autres bienfaits qui s'y rattachent, ainsi que les nations qui désirent se joindre à cette résolution d'action. Les cerceaux renouent de manière symbolique l'alliance entre le monde céleste et terrestre. Ils sont à l'origine de la danse des cerceaux.

Voici les sept cercles dessinés sur la pierre ronde que la Femme-Bison-Blanc avait posée sur le sol. Ces cercles représentent les sept cérémonies au cours desquelles la pipe sera utilisée.
« Mettez cette pipe sacrée au centre. Adressez vos prières à Wakan Tanka, le Créateur. Cette pipe, c'est lui qui vous l'a offerte.
Elle se tourna vers l'ouest, dont la couleur est le noir, et leva la pipe :
Je fais cette offrande aux Wakinyans, les Grands Êtres Ailés. Je leur adresse mes prières.
Puis elle se tourna vers la droite, en direction du nord, dont la couleur est le rouge, et leva la pipe :
Au tourbillon, et à tout ce qui se déplace en cercle, au Vent et aux quatre directions sacrées, je fais offrande.
Elle se tourna vers l'est, dont la couleur est le jaune, pour présenter la pipe :
Le soleil se lève, qui nous offre une nouvelle journée, qui rend grâce à tout ce qui vit.
Elle se tourna vers le sud, dont la couleur est le blanc, en priant :
Je rends grâce au monde des Esprits, le monde qui se trouve au-delà.
Quand elle eut bouclé le cercle, elle leva la pipe bien haut vers le ciel, pour prier et instruire le peuple :
« Je suis vos cœurs. Nous ne formons qu'un, un peuple, un esprit. Nous sommes la nation du bison. »
Ayant remis la pipe entre les mains du chef Helogecha Najin, elle montra les sept cercles dessinés sur la pierre ronde qu’elle avait posée sur le sol. « Ces cercles représentent les sept rites dans lesquels la pipe sera utilisée », dit-elle. Elle sortit de la loge et trouva le peuple assemblé. Elle recommanda aux chefs la sagesse dans leurs décisions et le dévouement à leur peuple. Elle dit aux hommes qu’ils étaient les défenseurs du peuple, les pourvoyeurs de leur famille et de tous ceux qui se trouvaient dans le besoin. À tous elle demanda d’observer les quatre vertus de courage, de force d’âme, de générosité et de sagesse. Avant de quitter le camp, elle se tourna vers le chef Helochega Najin :
« Regarde cette pipe! Rappelle-toi toujours combien elle est vénérable, et traite-la en conséquence. Souviens-toi! En moi sont quatre âges. Je m’en vais à présent, mais je veillerai sur ton peuple au cours de ces quatre âges et à la fin, je reviendrai ».
Puis la Femme-Bison-Blanc termina par un chant. C'est ainsi qu'elle donna ses instructions sur la manière dont le peuple devait vivre. S’étant éloignée dans la prairie, elle se changea successivement en un jeune bison blanc, puis en un jeune bison roux, puis jaune, puis noir et disparut derrière la colline.
Cette pipe d'origine, considérée comme sacrée ou hautement respectée, existe toujours tel un témoin tangible de sa venue et de son efficacité.
Voici un témoignage vibrant d'un Aîné Lakota :
On prend soin du paquet (la pipe Femme-Bison-Blanc) avec amour et révérence. Il est conservé sur un trépied et tourné chaque jour pour faire face aux quatre directions sacrées. La pipe sacrée est maintenant fragile et friable et ne peut plus être fumée, mais j’ai eu le privilège de la tenir et de prier avec elle, et j’ai ressenti son grand pouvoir emplir tout mon être. Je sais que l’esprit de Wakan Tanka réside dans cette pipe. C’est uniquement dans les périodes de famine, de détresse et de danger que les tribus Lakota ouvrent le paquet et que la pipe est déballée pour que les gens puissent la voir et prier.
–Archie Fire Lame Deer

Le rôle des femmes des Plaines
Parce qu'elles doivent porter le poids de grandes difficultés et de nombreuses peines, les femmes des Plaines sont dotées d'une grande bonté qui leur permet de réconforter les membres de leur famille en période de profonde douleur. Ainsi, elles peuvent soigner, guider, travailler avec diligence et œuvrer à la transmission des savoirs et de savoir-faire aux enfants, voir aux cérémonies commémoratives et aux funérailles de leurs ancêtres, préparer les loges et les plantes médicinales servant aux rituels, conseiller et initier les autres, comme le leur a enseigné la Femme-Bison-Blanc.
L'arrivée de la Femme-Bison-Blanc a modifié le portrait socio-économique des peuples des Plaines qui comptaient surtout sur le bison comme ressource principale en apportant les sept cérémonies et principes du bien-vivre qui y sont associés. D'ailleurs, une des coutumes consistait à consommer deux morceaux de viande crue dès le dépeçage. Le cœur riche en fer était destiné aux hommes qui honoraient ainsi le bison pour son courage et le molleton de chair tendre en dessous de sa bosse était distribué aux femmes afin de leur redonner vigueur. Ainsi, les forces étaient rééquilibrées.
La Femme-Bison-Blanc a redonné un statut égalitaire aux femmes
dans un contexte auparavant bouleversé par les guerres. Elle a
fourni aux femmes, et aux peuples des Plaines en général,
les moyens d'assurer la lignée familiale, autrement dit la
pérennité des familles, en entretenant des relations
durables et respectueuses entre elles, ainsi qu'avec les
membres des autres nations et avec l'environnement et
la Terre-Mère, surtout à travers l'Esprit du Bison. Le fait
qu'elle-même se soit manifestée dans la peau d'une bisonne
démontre que toutes deux ne font qu'une symboliquement, car elles
représentent nourriture et reproduction. Les hommes ont appris l'importance de considérer les souhaits des femmes, car la désobéissance ou le manque de respect signifierait la mort, l'extinction des familles et du peuple, comme cela est illustré dans l'épisode d'un des éclaireurs enveloppés par un nuage d'ignorance et réduit en paquet d'os. Tout comme la Femme-Bison-Blanc est source de vie et d'espoir, les femmes reprennent leurs pouvoirs intuitifs d'artisanes de la Paix et de Gardiennes des Traditions en exerçant leur influence dans les décisions importantes de la communauté dont les sociétés sont surtout matrilinéaires.
La médecine holistique de la Femme-Bison-Blanc a certainement grandement contribué à préserver la force de ces peuples des Plaines contre la malfaisance des Européens, car ils ont été les derniers à résister durant les conflits contre l'armée du gouvernement américain avant la cession de leurs terres aux États-Unis. Leurs coutumes sont demeurées vivaces!
Notes : Ce texte entier sur la Femme-Bison-Blanc a été révisé et validé par l'Aîné Marty Brais, Lakota, porteur de la pipe de paix.
Pour une version détaillée en anglais, voir en annexe du coffret le récit sur la Femme-Bison-Blanc, transmis de génération en génération et raconté par Archie Fire Lame Deer (1935-2001), guide spirituel et conférencier Lakota, qui l'a recueilli de son grand-père. Rosebud Indian Reservation, 1967.
La forme orthographique masculine en langue française est employée de manière neutre et générale, car elle comprend tout aussi bien le féminin.
