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Artiste : Robert Freynet; tableau : Histoire de Sainte-Anne-des-Chênes, au Musée du Vieux-Presbytère, Sainte-Geneviève, Manitoba

Troisième de huit enfants, Blandine est née en 1933 dans la petite paroisse de Sainte-Geneviève, au Manitoba. Elle a dû cesser l’école à l’âge de 16 ans pour aider ses parents aux travaux de la ferme. Blandine a épousé son voisin dans la même église où elle avait reçu les premiers sacrements. Dans cette chronique, elle nous fait revivre au fil des saisons des épisodes de son enfance dans un petit village manitobain, petites joies du quotidien et célébrations mémorables.

TABLE DES MATIÈRES

Vous pouvez offrir une pensée à Blandine qui a perdu son ami d’enfance et son compagnon de vie de 66 ans, Jean Dornez, le 13 mai 2018.

Cérémonie à la Vierge Marie

Une année, au mois de mai, les religieuses avaient organisé,

avec M. le curé, une cérémonie dédiée à la Vierge Marie. Nous avions appris de nouveaux cantiques et l’église était bien décorée pour l’occasion.

J'ai été choisie avec sept autres filles pour participer d’une manière spéciale à la fête. Nous devions, au début de la messe, aller déposer des fleurs aux pieds de la statue de la Vierge. C’était tout un honneur et j’en étais ravie.

La sœur nous avait dit qu’il fallait ensuite s’agenouiller en avant pour la durée de la cérémonie. Me mettre à genoux devant tout le monde! Avec mes souliers dont les semelles étaient percées! Quoi faire?

Enfin, il me restait une semaine pour trouver une façon de m’en exempter. Le grand jour arriva. Je me rendis à l’église et montai au jubé où les religieuses nous attendaient, afin de nous donner chacune une fleur et les dernières directives.

Au signe de la sœur , nous devions descendre l’escalier silencieusement, une à une, passer devant la grande porte et prendre l’allée du milieu pour nous rendre en avant. En passant devant la porte, je m’esquivai dehors, laissant les autres prendre la grande allée. J’étais sauvée des eaux!

 

Je n’ai pas bien dormi cette nuit-là. Quelle punition m’attendait le lendemain? Il me faudrait expliquer mon escapade à ma maîtresse. Je me suis rendue à l’école en priant la Sainte Vierge de m’aider à sortir de ce pétrin.

 

Deux à trois jours passèrent sans que rien n’arrive. Un après-midi que la sœur circulait autour des bancs où nous étions agenouillés pour la récitation du chapelet, elle avait sûrement vu mes semelles trouées et avait compris. La Vierge m’exauçait et la sœur me pardonnait. Quel soulagement!

Concours de chorales

Juin, le mois où il fait enfin assez beau pour se balader dehors. C’est aussi le mois des concours de fin d’année scolaire. Et nous jouissons des randonnées avec l’école, que ce soit au parc Assiniboine ou à un musée quelconque. Je me souviens d’une année en particulier où nous devions apprendre des chansons pour un grand concours de chant qui avait lieu à Saint-Pierre. Des élèves de différentes paroisses s’y rendaient.

Comme j’étais une des élèves les plus courtes, j’étais toujours dans la première rangée. Pour le concert,
il nous fallait des souliers noirs. Maman, toujours ingénieuse quand il le fallait, se servit de la suie récupérée du dessous des ronds du poêle à bois
pour noircir mes petites bottes en caoutchouc lacées.

Il fallait aussi que nous ayons des rubans d'une certaine largeur dans les cheveux. Tout ce que ma mère avait comme ruban ne mesurait qu’un pouce de largeur. Durant la nuit, elle réussit à coudre quatre rubans ensemble pour en faire un de la largeur requise. J’en étais ravie!

Une fois rendue à Saint-Pierre, on m'a donné un petit banc pour que je puisse me placer parmi les plus grandes dans la dernière rangée. Je me sentais donc spéciale! Ce n’est que lorsque j’entendis mon père expliquer à maman qu’on m’avait placée là pour cacher mes petites bottes que j’ai compris.

Mais ça n’avait aucune importance, car nous avons remporté le premier prix du concours de chant. C’est tout ce qui comptait pour moi.

Il faut dire que, pour nous rendre à Saint-Pierre, nous devions monter dans un grand camion sans fenêtre qui servait à transporter du foin, des achats et parfois même des animaux. On y installait de grands bancs de chaque côté et ça faisait bien l’affaire.

Pour des enfants de Sainte-Geneviève, c’était vraiment quelque chose!

Les vacances d'été

Nous voici en juillet. Deux mois sans école. Quand nous étions jeunes,
nous pouvions sortir du lit le matin plus ou moins quand nous le
voulions. Dès la première semaine du mois, nos frères attrapaient des
mouches à feu. Nous les mettions dans des vieux bocaux en nous
assurant de percer des trous dans les couvercles pour laisser passer l’air.
Nous nous endormions en regardant ces pauvres petits insectes mais,
chaque matin, ils étaient morts. Ça nous fascinait tellement de les voir
allumés.

 

Nous revenions tard le soir. Aucune lumière dehors en ces jours-là.
C’était facile de trouver la Grande Ourse ou de chercher d’autres étoiles
au firmament. Nous entendions les grenouilles chanter de loin de même
que les engoulevents bois-pourri (whip-poor-will) qui semblaient dire
« Va t’coucher! Va t’coucher! ». Nous espérions toujours voir une étoile
filante afin de pouvoir faire un souhait.

 

Nous étions plusieurs à jouer dehors, car les enfants des voisins se rassemblaient chez l’une ou l’autre des familles et nous nous amusions à peu de frais. Nos parents nous savaient en sécurité en pleine campagne. Naturellement, il y avait beaucoup de maringouins. Papa faisait un feu dans la cour loin de la maison. De temps en temps nous y déposions doucement un peu d’herbe verte. La fumée devenait alors épaisse et voilà. Ça marchait aussi pour nos pauvres bêtes. Les vaches et les chevaux s’approchaient du feu.

 

N’ayant pas de moustiquaires à nos fenêtres, il fallait les laisser fermées. Certains soirs, la chaleur devenait insupportable dans notre chambre. Nous apportions alors couvertes et oreillers pour coucher soit dans la grange à foin, soit dans le garage, etc. Papa nous avait même installé une grande tente une année et, malgré cela, ces damnés insectes nous y trouvaient. Il nous fallait dormir la tête sous les couvertures. Quand les nuits étaient froides, nous revenions parfois dans notre chambre sans faire de bruit pour ne pas réveiller nos parents.

 

Certains jours, nous jouions à la « madame ». Il y avait une petite clairière derrière la maison où nous trouvions beaucoup de roches dont nous nous servions pour faire des « murs et cloisons ». C’était une bonne place pour piqueniquer. Nous avions chacune une plus grosse roche qui nous servait de siège. Ma bonne maman nous préparait une petite collation et nous étions heureuses. Pas besoin de dessert, il y avait des fruits sauvages tout autour de notre « maison ». Comme breuvage, nous avions chacune un petit bocal de chocolat chaud.

 

Il y avait un gros arbre très vieux devant la maison d’un de nos voisins. Nous aimions monter dans ses branches. Là, nous lisions des vieilles revues qu’une voisine nous donnait. Dans une de ces revues, il y avait des photos des jumelles Dionne. Ça nous intéressait beaucoup.

 

Ce sont de bons souvenirs de ma jeunesse à Sainte-Geneviève!

La cueillette des petits fruits

Nous ne pouvons pas parler du mois d’août sans nous souvenir de la cueillette de nombreux petits fruits sauvages que nous trouvions dans les bois de Sainte-Geneviève, au Manitoba, dans mon jeune temps. Une fois mariée, j’en ai cueilli moi-même avec mes deux fillettes. Il fallait se méfier des nids de guêpes ici et là. Mais on aimait ça. C’était si près de chez nous.

Ramasser les bleuets n’était pas chose facile dans mon jeune temps, car il fallait y aller en machine et ces petits fruits poussaient bas. Les moustiques étaient partout. La dernière fois que j’y suis allée, j’ai dû donner une chopine de mon sang à ces bibittes. En revenant, nous avions une « récompense », un pique-nique. Assises sur une vieille couverte, nous nous régalions d'une bonne collation que maman nous avait préparée.

Mais pauvre elle, elle en avait des conserves à faire, sur un poêle à bois, souvent dans une chaleur accablante! Je vois encore les nombreux bocaux bien rangés sur les étagères du sous-sol. Nous avions hâte de déguster ces bleuets en hiver avec de la crème fraîche.

 

Nous jouions beaucoup dehors. Il y avait près de la maison une petite baissière où l’eau s'accumulait quand il pleuvait. Nous partions alors à la pluie toutes habillées, nous glissions et pataugions dans l’eau. Souvent, maman participait à ces jeux. Nous en avions du plaisir! Mais après cela, il y avait tout ce linge qu’elle devait laver à la main. Que de courage elle avait notre pauvre maman.

La rentrée scolaire

Le retour à l’école, le cahier neuf et, parfois de nouveaux livres de lecture, etc., sans oublier un beau grand crayon. On nous encourageait à nous servir d’un seul crayon de septembre à juin. Seules la maîtresse et les plus grandes élèves pouvaient les aiguiser pour ne pas casser la mine.

 

On nous demandait de porter des tuniques noires à l’école. Une année, je devais avoir 12 ou 13 ans,
je me suis rendue à l’école sans tunique. Une autre élève est aussi arrivée en classe sans la tunique requise. La sœur nous garde durant la récréation pour nous mesurer « au cas où » quelqu’un pourrait nous en donner une, explique la religieuse. Deux semaines plus tard, elle nous garde encore en classe et nous fait essayer chacune une tunique. Elles nous faisaient à merveille. J’ai su beaucoup plus tard que la sœur ménagère avait cousu ces habits avec de vieux costumes et une soutane ayant appartenu à M. le curé. Quel bel acte de charité!

Ce n’est pas étonnant que si un élève avait la rougeole ou autre maladie contagieuse, toute la classe y passait. Nous buvions tous avec le même gobelet en aluminium. Après avoir bu, nous remettions le gobelet sur l’eau dans le gros récipient en grès.

 

L’enseignement du français était interdit sauf pour quinze minutes par jour, mais nous trichions. Quand l’inspecteur venait, nous le savions d’avance, et nous cachions nos livres français. Il nous faisait lire, nous demandait d’épeler des mots et d'écrire au tableau. Nous ne pouvions pas passer à la classe suivante si nous ne connaissions pas assez l’anglais. Deux jours par semaine, tout se passait en anglais, une sorte d’immersion comme aujourd’hui. J’enviais la petite Anglaise de ma classe qui n’apprenait que sa langue. Mon père, plus sage que nous, nous disait qu’un jour nous serions fiers d’être bilingues. Et il avait raison!

L'automne et Halloween

L’automne venait vite, il me semble. Il fallait ramasser les pommes de terre et les carottes du jardin.

 

Nous devions aussi couper le foin pour soigner les vaches durant l’hiver. Assis dans une voiture tirée par deux chevaux nous partions au champ avec plaisir. Sur la voiture il y avait un « rack » pour tenir le foin. Mon père et mon grand frère lançaient le foin détaché (pas de balles dans ce temps-là).  Mon petit frère et moi dansions pieds nus dans le foin pour le tasser afin d’en mettre le plus possible.

Nous allions aussi cueillir les petites noisettes sauvages. Une fois écalées, nous devions vérifier si elles avaient des trous, ce qui voulait dire qu’il y avait des petits vers à l’intérieur. Nous rapportions les bonnes et passions nos soirées d’hiver à manger ces petites noisettes à la lumière de notre unique petite lampe à l’huile. Il fallait donc monter se coucher et se dévêtir à la noirceur, n’ayant pas encore l’électricité.

Nous revenions à la maison avec une bonne charge, fiers d’avoir aidé notre père. Les hommes faisaient des meulons de ce foin libre et nous les rangions près de l’étable. Dans ces meulons, les jeunes cachaient des petits sacs en tissu remplis de prunes pas encore mûres. En peu de temps, nos prunes étaient prêtes à manger.

Fin octobre, c’était l'Halloween. Trop pauvres pour porter des costumes, nous allions chez les voisins jouer des petits tours : lancer les râteaux ou bêches à jardiner sur les toits ou cogner aux portes et repartir en courant faisaient partie de nos tours annuels. Les plus grands avaient des tours plus sérieux, comme déplacer les bécosses à côté du trou, déplacer les voitures, brouettes,  et autres, et les cacher derrière l’étable ou plus loin encore. Ils allaient jusqu’à les monter sur le toit d’une grange.

Travaux de boucherie

Toujours occupés sur la ferme. Le début du mois de novembre était réservé aux travaux de boucherie. On tuait les gros porcs pour la viande. Chaque famille avait son tour et on s’entraidait. Dès la mort du cochon, les femmes recueillaient le sang pour en faire du boudin. Une fois la carcasse vidée, on ébouillantait l’animal pour faciliter la tâche d’enlever les poils. Les femmes faisaient des saucisses, des cretons, du pâté et de la tête fromagée. On ne perdait rien! Les garçons lavaient la vessie pour en faire un ballon une fois qu’elle serait sèche. On fabriquait du savon et de la lessive avec la graisse. On mettait la viande en conserve et on mettait le gras dans une saumure, afin de pouvoir déguster du bon lard salé en hiver.

Un certain 25 novembre, mes parents étaient partis veiller chez un voisin. Mon frère a invité un ami chez nous et nous avons décidé de faire de la tire Sainte-Catherine. On a donc mis tous les ingrédients requis à bouillir. Après dix minutes, on a laissé la tire refroidir sur une tôle à biscuits placée dans un grand plat rempli de neige. On attendait, mais la tire ne durcissait pas. On a remis la tire à bouillir une deuxième fois, puis encore une dernière fois, sans succès. Mon frère allait chercher de la neige chaque fois. On a alors décidé de manger la tire toujours molle avec des cuillères. C’était délicieux malgré tout. Une fois fini, on a tout nettoyé.
Le lendemain matin, mon père nous a demandé pourquoi la
poignée de porte était toute collante. Nous leur avons raconté
notre aventure et avons bien ri.

Noël

 

Une année, la Croix-Rouge nous avait donné chacun un cadeau. J’avais eu une belle poupée en tissu. Elle n’a pas duré longtemps. Mes frères avaient coupé un peu le corps par curiosité et on a vu que ma poupée était remplie de papier journal. Mon frère avait reçu un ourson, mais avant la fin de la journée, l’ourson avait perdu une jambe. C’était la première fois que nous avions eu de vrais cadeaux.

Le matin de Noël, maman sonnait une cloche à vache pour nous réveiller, car la veille, nous nous étions couchés tard.

Dans l’arbre, de petits bonshommes en pain d’épice, tout enfarinés de sucre en poudre, portaient chacun nos noms. Le père Noël n’existait pas chez nous. Mais le petit Jésus envoyait des anges dans nos maisons.

 

Laissez-moi vous raconter un Noël dont je me souviens encore. Durant l’après-midi, nous étions en train de finir un casse-tête. De temps en temps, nous allions vérifier par la fenêtre si papa s’en revenait de l’étable. Et tout à coup, ma sœur me dit « Prends le balai! Moi, je me dépêche de faire la vaisselle. » Papa entre et me demande « C’est quoi ça, collé à ton bras? » Ho! Ho! c’était un morceau du casse-tête. Il monte à l’étage pour vérifier que les lits sont faits. Il descend en souriant et dit : « C’est Noël aujourd’hui, mais vous connaissez le règlement, le travail d’abord, les jeux après. » Maman nous avait préparé un bon repas et ce fut un très beau Noël. Les cadeaux se faisaient rares, mais nous étions tous heureux.

Le chemin de l'école

Notre maison n’était pas isolée, nous avions donc froid dans les chambres. De vieux manteaux nous servaient de couvertures. Au moins, nous avons toujours eu de bons draps et oreillers que maman fabriquait avec des sacs de coton. Nous achetions la farine en sacs de 100 livres et faisions bouillir les sacs vides, afin d’en faire disparaître l’écriture. Ça prenait un sac pour un oreiller et cinq sacs pour un drap. Maman

cousait aussi nos sous-vêtements, blouses, tabliers et linges à vaisselle. Elle brodait nos noms sur les taies et de jolis dessins sur les linges à vaisselle et tabliers. Plus tard, nous sommes allés à une entreprise de Winnipeg où on nous remettait des couvertures de laine en échange des vieux manteaux et autres articles en laine.

Quand le vent venait du nord, mon frère attelait le cheval et il nous conduisait à l’école en traîneau. Tous les élèves qui se trouvaient sur le chemin pouvaient monter à bord. Ce n’était pas loin, mais nous appréciions ce moyen de locomotion.

 

Bien des élèves, dont les familles demeuraient plus loin, devaient marcher jusqu’à trois milles pour se rendre à l’école. Quand ils arrivaient en classe, leur dîner était souvent gelé et ils devaient apporter leur boisson dans un bocal en vitre. Le plastique

n’existait pas encore. Ils déposaient leur dîner près de la fournaise à bois. Ce n’était pas facile après une tempête. Sans gratte à neige, le nettoyage des chemins se faisait avec des chevaux et ça prenait 

du temps. Pas étonnant que la plupart des élèves arrêtaient l’école à 14 ans, l’âge limite prescrit par la loi pour pouvoir abandonner l’école. On avait pitié d’eux chez nous, qui demeurions près de l’école. Comme tout le monde était pauvre, nous n’étions pas vêtus très chaudement. Je me souviens avoir porté un manteau d’été durant deux années scolaires, été comme hiver, mais je n’étais pas la seule. Nous étions heureux quand même.

La Saint-Valentin

Le mois des cœurs et de l’amour. Comme le 14 était la fête de Saint-Valentin, la sœur cuisinière nous offrait des petits biscuits en forme de cœurs. On fabriquait aussi des cartes de valentins pour chaque élève de notre classe.

Le vendredi, on jouait à une sorte de bingo, mais pas avec des numéros. C’était plutôt des dessins d’objets qui se trouvaient dans l’école ou encore

des photos de personnes fameuses comme on trouvait dans la bible : Noé, Abraham, Adam et Ève, ou encore de Napoléon, Marie-Antoinette, Georges et Cartier, etc. Là encore les prix étaient des images saintes ou du délicieux sucre à la crème. Ces jeux étaient faits par nos maîtresses. Aussi, quand il faisait trop froid, elle nous faisait de la lecture très intéressante. La vie de Katéri Tekakwitha, de Mère d’Youville ou le journal de bord d’Alfred. Nous avions hâte au vendredi suivant. Tout ça bien entendu si nos leçons et devoirs de la semaine étaient terminés.

Les sœurs insistaient aussi pour que nous prenions tous du bon air dehors. On jouait au « drapeau » ou encore on devait courir 20 fois autour de l’école avant d’entrer en classe. Les garçons jouaient à des jeux différents.

Après l’école, ceux qui demeuraient au village restaient pour nettoyer la classe. Balayer, nettoyer les effaces, épousseter, etc. Une fois par mois, on lavait le plancher, les fenêtres et autres. Nous effacions aussi les tableaux sauf au haut où c’était écrit en grosses lettres de couleur « Soyons fiers d’être français. » et « Ne faites pas aux autres ce que vous ne voulez pas qu’on vous fasse. » Deux phrases qui sont encore dans ma mémoire et que je répète souvent à mes enfants.

Le mois des petits veaux

Le mois des tempêtes ou, comme disait papa, le mois des petits veaux. Il me semble que nous avions alors plus de tempêtes et de neige dans ces années-là. Il y avait une clôture entre l’étable et notre maison et, en hiver, on ne la voyait pas. À l’école, il y avait une grosse barrière qu’on fermait après les classes. Une année, une copine et moi décidons de lécher la barrière de métal. Je ne l’ai jamais refait. Je pense avoir laissé une partie de ma langue sur le givre.

Nous restions souvent en classe après la fin des cours à cause de ces tempêtes. Ça nous donnait la chance de faire nos devoirs du soir. On aimait ça, parce qu’ensuite on pouvait jouer à des jeux une fois rendus chez nous. Des jeux qu’on inventait sans doute. Comme nos maîtresses, je fabriquais des jeux avec du carton et je m’amusais avec mes petites sœurs et mes petits frères. Je leur faisais écrire et épeler des mots, compter, soustraire, etc. Je rêvais alors d’être institutrice un jour, ce qui n’est pas 

arrivé, car mes parents n’avaient pas l’argent requis pour me mettre en pension dans une paroisse voisine où on enseignait jusqu’à la 12e année. Ce n’était pas le cas dans notre petite paroisse de Sainte-Geneviève où il y avait peu d’élèves qui se rendaient jusqu’à la 8e année. Plusieurs élèves devaient arrêter l’école à 12 ou 13 ans pour aider à la maison et sur la ferme.

 

Aussi, j’aimais la lecture et un de nos vieux voisins passait des livres à mon père, comme Le Titanic, que j’ai lu un hiver et j’ai bien aimé ça. Un autre sur l’Holocauste, mais quand j’ai demandé à papa pour le lire, il m’a répondu « Je préférerais que tu ne touches pas à ce livre, tu es trop jeune. » Il avait raison. Je l’ai lu plus tard, et j’ai vu des films sur le sujet et ce n’est pas facile. Le vieux monsieur en question avait des centaines de livres chez lui. Que j’aurais donc voulu mettre ma main dans sa bibliothèque.

Mars est aussi le mois de la Saint-Patrice et, bien que personne aux alentours n’était de descendance irlandaise, on fêtait quand même cette date à l’école. On aimait déguster de petits biscuits en forme de trèfle et décorés avec du glaçage vert.

Pâques

Bien des enfants aiment le mois d’avril parce que la plupart du temps, Pâques tombe ce mois-là. Ils ont hâte de faire la chasse aux cocos de Pâques. C’est aussi le printemps qui s’annonce après un long hiver. On peut enfin espérer jouer dehors sans souffrir du froid. Les enfants du voisinage se rencontraient le soir et en fin de semaine pour jouer différents jeux comme la balle-molle et le tépé (tippy).

Mes frères essayaient d’attraper de pauvres petits oiseaux avec des frondes qu’ils fabriquaient eux-mêmes avec un élastique, un petit morceau de cuirette et de la corde. Rendus à un certain âge, ils étaient devenus assez bons chasseurs. Il y avait aussi de nombreux petits animaux sauvages dans les environs. Un jour, mes frères avaient ramené un petit lièvre sauvage à la maison. Tous voulaient avoir la chance de le porter et le caresser. Ma petite sœur de deux ans était si heureuse, elle le serra si fort dans ses bras que le petit lièvre en mourut.

Au printemps, on amenait les vaches au pacage à deux milles de chez nous. C’était ma responsabilité et je devais le faire juste avant d’aller à l’école. Je déjeunais à la va-vite et je revenais en courant afin de ne pas être en retard à l’école. Le soir, je devais aller les chercher avant le souper. J’avais peur de rencontrer un ours ou pire, une mouffette. Maman me répétait souvent : « Une fois arrivée dans le bois, chante fort et tu ne surprendras pas les bêtes. »

C’était un pacage d’un mille carré où il y avait aussi des arbres. Si, par chance, les vaches étaient à la barrière, je m’agenouillais pour remercier Dieu. Un dimanche après-midi, je n’ai pas pris le temps de mettre mes vieux vêtements et il s’est mis à pleuvoir et à grêler avec force. En plus d’avoir peur, je voyais la couleur de ma petite robe rouge à pois blancs commencer à déteindre. C’était la première fois que je portais une robe neuve de la bonne grandeur. Il va sans dire que j’étais bien attristée.

Des bestioles

Mai. Quel beau mois! Enfin le beau temps. C’est le temps de semer le jardin si l’on veut déguster les bons petits légumes frais durant la belle saison. Maman semait quantité de belles fleurs et connaissait tous leurs noms. Il y en avait de toutes les couleurs tout près de la maison.

 

Nous marchions à l’école avec les enfants de nos voisins. Une des filles avec qui j’étais amie[1], et moi-même, avions convenu que si je partais la première pour l’école, je déplaçais une roche placée près de l’entrée, et elle faisait de même. Ainsi, nous n’attendions pas l’autre inutilement. Le midi, nous revenions dîner à la maison. En s’approchant de nos maisons le vendredi midi, nous pouvions sentir les crêpes que nos mamans nous préparaient ce jour-là. Comme d’habitude, la première à repartir pour l’école déplaçait la roche. Nous nous étions aussi inventées un jeu : « Faut pas marcher sur l’herbe. » Il y avait tellement de roches le long du chemin entre de chez nous et à l’école, que nous pouvions uniquement marcher que sur les des roches sans toucher l’herbe. Celle qui touchait l’herbe était perdante. On s’amusait avec peu de chose quand on est jeune.

Un jour, partie acheter quelque chose au magasin du village, j’aperçois une couleuvre sur mon chemin. J’ai eu tellement peur que j’ai mis les freins tout d’un coup, ce qui m’a fait dégringoler de ma bicyclette. J’avais les genoux et les coudes tout écorchés.

 

Pour le reste de l’été, j’y pensais chaque fois que je passais au même endroit. La semaine suivante, en ramassant de la rhubarbe, j’ai vu une couleuvre dans un plant. J’ai couru à la maison sans rhubarbe et pour le reste de l’été, j’ai dû demander à quelqu’un d’autre d’aller chercher la rhubarbe dans le jardin.

Je n’aimais pas non plus les crapauds. Si j’en voyais un dans le jardin, je creusais un trou avec la gratte, y poussais le crapaud et l’y enterrais en paquetant la terre pour l’empêcher de sortir. Pauvre crapaud... mais je ne pouvais pas m’en empêcher. Vous allez me trouver méchante, mais au moins, je n’allais plus le revoir celui-là. J’aimerais mieux rencontrer un gros ours qu’une couleuvre ou un crapaud.

[1] Élizabeth Dornez, devenue ma belle-sœur par la suite.

Cérémonie de la Fête-Dieu

Nous avions tous hâte au mois de juin pour la cérémonie de la Fête‑Dieu. Il y avait une procession, de l’église à la maison d’un paroissien choisi par les syndics de la paroisse. Chacun avait son tour. La famille élue devait bâtir un petit autel dehors où le prêtre allait célébrer la messe. Des jeunes filles éparpillaient des fleurs sauvages roses sur le chemin. Le prêtre suivait, portant une icône de Dieu. Au-dessus de sa tête, il y avait un dais à quatre poteaux tenu par quatre hommes. Les paroissiens chantaient des cantiques au Sacré‑Cœur où l’on récitait le chapelet. Arrivées à l’endroit choisi, des petites filles étaient placées de chaque côté de l’autel, habillées en costumes d’anges, et des petits garçons étaient enfants de chœur.

La journée précédente, les jeunes hommes allaient dans le bois pour couper des petits arbres de
6 à 8 po de hauteur et les plantaient de chaque côté du chemin, dans des trous espacés de 10 à
12 po, de l’église à la maison hôte. Tous les paroissiens étaient de la fête, même les tout-petits et les bébés dans les bras de leur maman. C’était une cérémonie émouvante. 

Au cours du mois de juin 1999, alors qu’on visitait la Colombie-Britannique, il y a eu une procession semblable après la messe, où les paroissiens ont fait un tour dans le village. Même cérémonie, sans aucun arrêt par contre, mais tous chantaient des cantiques ou priaient. Ça m’a rappelé les processions de ma jeunesse. Dommage que cette célébration n’existe plus aujourd’hui.

 

Un autre événement qui s’est produit à Sainte-Geneviève, dans ma jeunesse, c’est la visite de la statue de Notre‑Dame‑du‑Cap. On ne pensait jamais que la statue viendrait dans notre petit coin. Quelle surprise quand notre prêtre nous a annoncé la bonne nouvelle. J’ai revu la même statue à Nicolet, au Québec, dans un petit musée. La statue a traversé le Canada et s’est arrêtée dans plusieurs villages et villes catholiques. C’est quelque chose qu’on ne peut oublier.

L’été est arrivé. Même si j’aimais bien aller à l’école, j’étais contente d’être chez-nous tous les jours sans avoir à me lever si tôt. Sur la ferme il y avait beaucoup de travail, c’était amusant. Ayant plusieurs vaches, le lait partait pour la ville dans des bidons de huit gallons et la crème dans des bidons de cinq gallons. Je me souviens des jours où l’on gardait de la crème pour en faire du

Le lait

beurre. La crème était mise dans des bocaux d’un demi-gallon remplis jusqu’à la moitié. Je m’assoyais au soleil, tôt le matin, après la traite des vaches et je brassais le bocal longtemps, ce qui me semblait des heures, jusqu’au moment où l’on voyait des petites boules de beurre. Là, c’était plus encourageant. Après avoir brassé encore un peu, le beurre était prêt. Ça, avec du bon pain de ménage et de la confiture, quel délice!

 

La crème avec du gâteau frais, mmmmm. Ça me rappelle un soir où maman m’a demandé de faire un gâteau au chocolat. C’était ma première tentative de cuire un gâteau. Elle et papa sortaient ce soir-là. Je sors donc la recette et mesure les ingrédients. J’étais fière de moi quand j’ai mis le plat au four. Sauf que... le gâteau n’a pas levé à mon goût. Quand mes parents sont revenus, mon chef-d’œuvre était sur la table. Maman me dit comme ça :

- « Alors, tu as décidé de faire une recette de carrés au chocolat? »

- « Non, c’est le gâteau que tu m’as demandé de faire. »

- « Tu as dû oublier de mettre la poudre à pâte. »

J’étais un peu déçue. Elle me dit alors :

- « Ne t’en fais pas. On l’émiettera dans un grand plat et on le
couvrira d’une bonne crème anglaise. Ton père ne dira rien et
tes frères n’ont pas besoin de savoir la vérité. Ce fut notre
dessert du dîner le lendemain et il n’y a pas eu de restes.

 

Un autre jour, maman et papa sont allés à notre deuxième jardin, derrière l’étable, assez loin de la maison. Ma mère me dit :

- « Occupe-toi de la pâte à tarte, s’il te plait. Mets là à cuire. Je veux faire des tartes au citron pour souper. »

J’abaisse donc la pâte et la dépose sur une assiette à tarte, sur l’envers de l’assiette, et hop au four! Après un certain temps, j’ouvre la porte du four et mes deux tartes avaient levé en forme d’igloo. Je cours au jardin presque en larmes pour parler à maman de mon problème. Elle me dit :

« Tu as oublié de faire des petits trous au fond. Je reviens à la maison, pique mes tartes avec une fourchette et le tout s’écroule. Je dépose mon résultat dans un bol et je le cache dans l’armoire. En voyant ça, ma mère me dit :

« Étends tout ça dans un grand plat, une fois rempli de sauce au citron, ça va être délicieux. Pas de gaspille, c’est ça qui compte. Je vous avoue avoir dégusté un assez bon dessert.

Jamais le temps
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Encore un mois de vacances. Que de choses on faisait pour passer le temps! Nous étions pas mal toujours dehors, à jouer ou à travailler à la ferme. Pas le temps de s’ennuyer. Ma sœur me rappelait l’autre jour qu’on remplissait de vieux pneus avec de la gravelle, en guise d’essence, et l’on s’imaginait que c’était une auto que l’on  roulait en bas de la petite côte tout près de chez-nous. On aimait jouer à cache-cache avec nos voisins, surtout le soir. Il y avait beaucoup d’arbres et de nombreuses bâtisses.

 

Le jeu « qui sera le dernier à toucher l'autre » était aussi très populaire. J’ai vu mon frère venir jusqu’au magasin pour être le dernier à me toucher l’épaule. Je courais moins vite que lui, alors il gagnait souvent. Même papa et maman étaient de la partie. Un jour d’hiver, alors que mon père était en train de se chausser, je

suis vite passée près de lui et je l'ai touché à l’épaule en me dirigeant vers l’étable. Il se leva rapidement et me suivit dehors pour me rendre la pareille, mais une fois arrivé sur le perron plein

de neige, il réalisa qu’il n’avait qu’un bas et qu’il ne portait pas ses chaussures. Rendu à l’étable, alors que j’étais en train de traire une vache, il me toucha l’épaule en passant. Puis, à mon tour de l’attraper quand il était occupé et ça continuait comme ça.

 

On se couchait plus tard quand il n’y avait pas d’école. Nos parents nous savaient en sécurité dans notre petit patelin, il y avait rarement une automobile sur le chemin et tout le monde se connaissait bien. Les familles étaient nombreuses, on s’amusait bien et l’on s’entraidait tous en cas de besoin.

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Bois de chauffage

Le retour en classe est trop vite arrivé, même si j’aime l’école et mes institutrices, les Sœurs de Saint-Joseph de Saint-Hyacinthe qui viennent du Québec. Au début de l’année scolaire, on formait des rangées pour ramasser tout ce que le vent avait envoyé dans la grande cour d’école. À la récréation, on faisait une chaîne humaine et l’on entrait suffisamment de bois de chauffage pour chauffer l’école durant un mois.

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En classe, dès le premier jour, on commençait à étudier, à écrire, à lire et à épeler des mots. Chaque vendredi, on récapitulait ce que l’on avait appris pendant la semaine. Même chose à la fin du mois, si bien qu’en fin d’année, c’était assez facile de réussir les examens. À la maison, après le souper ou la fin de semaine, toute la famille se mettait de la partie pour ramasser les légumes du jardin. Des fois on chantait, maman avait toujours des gâteries pour nous à la fin de la journée. On triait les patates par taille puisqu’on allait devoir manger les plus petites en premier, et on les plaçait dans de gros sacs de jute pour les entrer dans la maison. Papa labourait ensuite le champ et il était ainsi prêt pour l’année suivante.

Les jeunes hommes de Sainte-Geneviève partaient à quelques milles de chez-nous pour aider les agriculteurs qui avaient besoin de main-d’œuvre pour ramasser leurs récoltes. Ils étaient assez bien payés et revenaient après un mois de travail. Leur salaire était apprécié des parents.

Je n’ai jamais été à l’école pieds nus, mais chez-nous les deux plus âgés enlevaient leurs chaussures pour ne pas les user. Rendus à l’école, ils les enfilaient et revenaient en portant leurs souliers dans leurs mains.

Une chose dont je me souviens, c’est en hiver quand nos bas de laine étaient percés au talon, on virait nos bas de façon à ce que le trou soit au-dessus du pied. Voilà! Ma pauvre maman était souvent malade et n’avait pas toujours le temps de raccommoder le linge. Elle avait mis au monde huit enfants en dix ans et elle aidait mon père qui lui non plus n’avait pas une bonne santé. De plus, le travail dehors les tenait bien occupés, mais ils étaient heureux et nous aussi, les enfants.

Préparatifs

Il faut se préparer pour les froids d’hiver. L’automne précédent, mon père était allé bûcher du bois à la hache à quelques miles de la maison. Les branches des arbres étaient aussi coupées à la hache et laissées dans la forêt en tas. Les perdrix et les lièvres se cachaient dans les piles de branches. Les arbres étaient amenés chez-nous dans une voiture tirée par deux chevaux et laissés là quelques mois à sécher.

Il faut se préparer pour les froids d’hiver. L’automne précédent, mon père était allé bûcher du bois à la hache à quelques miles de la maison. Les branches des arbres étaient aussi coupées à la hache et laissées dans la forêt en tas. Les perdrix et les lièvres se cachaient dans les piles de branches. Les arbres étaient amenés chez-nous dans une voiture tirée par deux chevaux et laissés là quelques mois à sécher.

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En octobre, le bois était coupé en longueur pour chauffer dans le poêle de la cuisine et coupé plus long pour la fournaise au sous-sol. Là encore, les voisins s’entraidaient et se servaient de la même machine pour la coupe de bois. J’aimais le son de la scie et encore à l’âge de 80 ans j’aime aider nos garçons quand c’est à leur tour de préparer le bois pour leur poêle ou leur feu de camp.

Mon petit frère remplissait une brouette du bois fraîchement coupé et la roulait près de la maison pour passer le bois à travers une fenêtre de la cave. Et moi, je cordais le bois avec fierté, car papa voulait de belles cordées. Tout le bois nécessaire pour un hiver était cordé jusqu’à cinq à six pieds de haut et de deux à trois cordées de profondeur. Les arbres trop gros pour la scie devaient malheureusement être fendus à la main avec la hache. Pauvre papa! Je le vois encore fendre ces grosses bûches. Et maman se levait durant la nuit pour ajouter du bois dans la fournaise afin de nous garder au chaud. Aujourd’hui, il y a des machines électriques pour scier et fendre les bûches. Mais le son de la scie est le même et ça m’a toujours fasciné.

En octobre, le bois était coupé en longueur pour chauffer dans le poêle de la cuisine et coupé plus long pour la fournaise au sous-sol. Là encore, les voisins s’entraidaient et se servaient de la même machine pour la coupe de bois. J’aimais le son de la scie et encore à l’âge de 80 ans j’aime aider nos garçons quand c’est à leur tour de préparer le bois pour leur poêle ou leur feu de camp.

Mon petit frère remplissait une brouette du bois fraîchement coupé et la roulait près de la maison pour passer le bois à travers une fenêtre de la cave. Et moi, je cordais le bois avec fierté, car papa voulait de belles cordées. Tout le bois nécessaire pour un hiver était cordé jusqu’à cinq à six pieds de haut et de deux à trois cordées de profondeur. Les arbres trop gros pour la scie devaient malheureusement être fendus à la main avec la hache. Pauvre papa! Je le vois encore fendre ces grosses bûches. Et maman se levait durant la nuit pour ajouter du bois dans la fournaise afin de nous garder au chaud. Aujourd’hui, il y a des machines électriques pour scier et fendre les bûches. Mais le son de la scie est le même et ça m’a toujours fasciné.

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Le sous-sol servait aussi à entreposer les pommes de terre que l’on  appelle chez-nous des « patates». Sans oublier les nombreuses étagères remplies de bocaux de confitures de fruits  sauvages et les légumes en conserve que l’on dégustait en hiver. Papa avait aussi tous ses outils rangés dans le sous-sol, et quoi encore...

La résine de pin

Lorsque papa s’en allait dans la forêt pour aller couper du bois de chauffage pour l’année suivante, il partait pour toute la semaine et revenait seulement les fins de semaine. Je me demande aujourd’hui ce qu’il apportait comme nourriture et s’il était à l’aise la nuit..., mais je me souviens bien de ses retours. Maman était très contente de le revoir et nous, les enfants, étions tous très excités. C’est qu’il nous rapportait de la résine de pin, qui nous servait de gomme à mâcher bon marché.

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Cette résine était collée aux épinettes. Il suffisait de la laisser ramollir dans notre bouche et de la mâcher. La gomme avait bon goût. Mais si nous avions le malheur de boire de l’eau froide, la gomme se désagrégeait rapidement. À l’heure des repas, nous devions jeter notre gomme. Nos amis et voisins eux aussi aimaient ces petites boules de résine de pin.

 

Au cours d’un hiver... je devais avoir 10 ou 11 ans, j’avais reçu un manteau d’été rouge d’une dame charitable qui nous refilait beaucoup de vêtements, ainsi qu’à d’autres familles pauvres. Le manteau n’était pas neuf et était trop grand durant la première année, mais la deuxième année, il me faisait assez bien. Par contre, la troisième année, il était un peu serré. Maman l’a teint bleu marine et ça m’a fait un manteau tout neuf. Les élèves qui n’étaient pas vêtus assez chaudement avaient la permission de rester en classe quand il faisait trop froid. On s’amusait bien dans l’école et nos maîtresses se fiaient à nous.

Pour tenir nos bas en place, on utilisait les élastiques qui servaient à fermer les bocaux des conserves. Si le fameux élastique se cassait, ce n’était pas rigolo. Parfois, on en avait en réserve 

dans nos sacs d’école. Il nous arrivait, très rarement, de porter des bas de laine. Nos voisins avaient des moutons et j’ai souvent, avec leurs filles, ramassé la laine qui s’accrochait à la clôture barbelée lorsque les moutons passaient 

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en dessous. Leurs mères tricotaient des tuques, des mitaines, des bas, des foulards (que l’on nommait des crémones) et même des caleçons pour hommes faits en une seule pièce.

Magasinage

Nous avons eu un service d’autobus de Sainte-Geneviève à Winnipeg durant quelques années. Plusieurs se rendaient faire leurs achats chez Eaton. C’était toute une affaire! Un gros magasin à plusieurs étages, où l’on y vendait de tout! Dans notre village, à part les maisons familiales, il n’y avait que l’école, l’église, le couvent, le presbytère et le petit magasin où l’on se procurait de la nourriture. Aucun restaurant ni hôtel.

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Comme je me mariais en janvier, j’ai été acheter ma robe de noces avec ma mère. Nous sommes revenues avec ma robe (20 $), un voile avec une couronne (10 $), un bouquet de roses en plastique (2 $), des sandales blanches que je pourrais porter en été (1,50 $) et un petit gâteau à trois étages. Je nous vois encore descendre de l’autobus devant chez‑nous avec tout ça.

 

Comme les cartes de crédit n’existaient pas dans ce temps-là... je ne me souviens plus si nous avions même des chèques... il nous fallait payer comptant. Avant de partir, par mesure de sécurité, on plaçait l’argent requis dans nos gaines, que toutes les femmes portaient alors. Arrivées chez Eaton, nous allions à la salle de bain chaque fois que nous devions payer un article.

 

À l’heure du dîner, nous prenions un petit repas qui nous coûtait un gros 2 $. Le menu était toujours le même : pommes de terre pilées, légumes et quatre saucisses au lard, thé comme breuvage et un petit morceau de tarte aux pommes.

 

Un peu avant Noël, il y a eu une fête prénuptiale chez mes beaux-parents. Il y avait de la musique, de la danse, une collation et à la fin, les hommes faisaient passer les souliers de la future mariée et chacun y déposait un peu d’argent. Nous avons ramassé en tout 52,25 $, ce qui nous a permis à mon mari et à moi de nous acheter un ensemble de chambre à coucher, un lit et deux commodes ainsi que des accessoires pour la cuisine. Comme nous avions hérité de la petite ferme et de la vieille maison, il ne nous manquait pas grand-chose. Le salon était vide. Dans la cuisine, un poêle à bois, une grande table et seulement deux chaises. Quand la visite venait, mon mari et moi nous nous servions de caisses de pommes vides comme sièges. C’était solide, mais pas très confortable. Mais on ne se plaignait pas.

 

Les noces

La journée des noces arrivait à grands pas. Maman a dû faire beaucoup de tartes que l’on devait garder entre deux portes, car c’était avant l’arrivée de l’électricité.

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Chaque famille distillait son « eau-de-vie » pour passer les fêtes. Début janvier, mon père a donc « mis à tremper » comme on disait. Et durant quelques jours, et même la nuit, il nous fallait chauffer la fournaise au maximum pour faire ce whiskey. En me levant un matin, j’ai cru voir un peu de fumée sortir d’entre les briques de la cheminée de la maison. Je pars pour traire les vaches et je le mentionne à papa, mais il ne me croit pas. Ma mère, qui était aussi

dans l’étable, me demande d’aller vérifier après la traite. En approchant de la maison, je vois que la fumée sortait de la cheminée près du mur extérieur. Je cours donc l’annoncer à papa et LÀ, il m’a crue. Nous avons tout lâché et nous sommes partis à la maison avec chacun une chaudière d’eau. Mes frères, mon futur mari et son frère qui étaient à distiller dans la cave sont vite montés. On fit donc un trou dans le mur avec une hache et les flammes se sont mises à sortir. Grâce à l’eau et à la neige, nous avons réussi à éteindre le feu assez rapidement.

 

Le dîner de noces étant chez nous, nous avons donc fêté avec ce gros trou dans le mur de la cuisine. Pas le temps de réparer le dégât avant le mariage. L’eau-de-vie était bien réussie et tous ont pu prendre un p’tit coup qu’on servait dans un petit verre, le même pour chaque invité. Papa préparait le whiskey avec de la cassonade brûlée et ça donnait une belle couleur et un bon goût.

 

C’était gratuit pour tous. Papa avait vendu une bonne vache à un voisin pour 300 $ afin de payer le coût des noces. La salle n’a rien coûté, car papa était concierge. Je ne voulais pas de grosses noces ni aucune fille d’honneur.

 

Comme invités, nos frères et sœurs et quelques bons amis de mes parents. La soirée a commencé vers 19 h et s’est terminée à 7 h le lendemain matin. Les musiciens étaient des amis et n’ont rien facturé. Le souper fut chez mes beaux-parents. Tout le monde est revenu chez mon père pour finir la dinde et le dessert. Maman, qui n’était pas venue à l’église, a donc été debout pendant plus de 24 heures. Pauvre elle, elle devait être très fatiguée.

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10 janvier 1950

Un bébé
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Février 1954

Cette année-là, le printemps est arrivé assez tôt. Le 28 février, nous revenions de l’hôpital avec notre deuxième bébé. La neige avait fondu assez vite et il y avait de l’eau partout sur les chemins.

Notre deuxième fille était si petite que j’avais un peu peur de l’emmener chez-nous. Elle n’était pas prématurée, mais petite et bien en vie. Le soir, je plaçais son petit lit tout près du nôtre. De temps en temps, je passais mon bras à travers les barreaux pour vérifier si elle respirait. Dans la nuit, quand elle se réveillait pour boire, j’avais préparé des bouteilles de préparation pour nourrissons que je laissais au frais sur le cadre de la fenêtre dans notre chambre. Nous n’avions pas de frigo à cette époque. Je me rendais dans la cuisine et versais le lait dans un poêlon. Avec du papier journal froissé que je plaçais dans un rond du poêle, j’allumais une allumette et en quelques secondes le lait était chaud. Il faisait froid dans la maison et dès que ma petite était retournée dans le lit, avec plusieurs couvertures pour la tenir bien au chaud, j’allais dans la cave pour mettre une bûche ou deux dans la fournaise afin de nous donner de la chaleur dans notre vieille maison qui n’était pas isolée. Le jour, on gardait le poêle de la cuisine et la fournaise à bois en marche continuellement.

Le lendemain de notre arrivée de l’hôpital, ça cogne à la porte. C’était ma belle-sœur qui demeurait tout près et qui venait m’offrir de donner le bain à ma petite. La veille, elle était venue voir mon bébé et avait dû remarquer que j’étais très fatiguée. Quel beau geste! Je l’ai remerciée et le soir avant de m’endormir, je remerciai aussi le Seigneur pour ce bel acte de charité. Elle est revenue à quelques reprises... elle ne s’en souvient pas, mais moi, je n’ai jamais oublié ses bontés.

Sauvetage

Plusieurs personnes n’aimaient pas le mois de mars, dû aux tempêtes qui nous arrivaient presque chaque année. Si l’on allait à l’école, c’était en traîneau tiré par notre vieille jument. Sinon, ça nous donnait la chance de nous amuser en famille avec des jeux inventés par nous-mêmes. Et l’on aimait faire de la lecture avec des livres prêtés par un voisin. C’était aussi des fois la semaine de relâche qui, en ce temps-là, était fixée en fonction de la fête de Pâques. On ne sortait que pour traire et soigner les vaches, et entrer de l’eau.

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Des fois, un ou deux d’entre nous étaient grippés alors il fallait rester au lit. Ça, c’était moins drôle. Si l’on toussait beaucoup, maman nous frottait avec de l’onguent camphré ou nous faisait une mouche de moutarde. Elle mélangeait de la farine, de la moutarde et de la graisse. Ce mélange était mis entre deux ou trois pages de papier journal et l’on gardait ça, pas plus de 20 minutes, sur l’estomac. Pas question de sortir du lit.

Je me souviens très bien du mois de mars 1964 où j’étais à l’hôpital pour notre dernier-né. J’avais téléphoné à mon mari pour lui dire de ne pas venir me rendre visite, car on ne voyait rien dehors. Et bien pour lui, ce fut un défi à relever. Il est venu avec un voisin. En retournant chez‑nous, il vit

une auto prise dans un gros banc de neige. Dans la voiture, il y avait un jeune couple avec un bébé. Mon mari et le voisin leur ont porté secours et mon mari insista pour les emmener chez‑nous. La dame se servit du petit lit de bébé, des couches, etc. Mon mari leur a fait à souper et leur a offert de rester à coucher à la maison. Le lendemain, ma voisine devait partir à Winnipeg pour mettre son bébé au monde. La tempête continuait. Donc, notre voisin, mon mari et le jeune homme sont tous partis pour la ville. La dame, qui ne parlait qu’anglais, resta à la maison avec mon garçon de cinq ans et mes deux filles de dix et onze ans. Deux jours plus tard, le couple et leur bébé

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sont partis pour l’Ontario sans nous laisser leurs noms ni leur adresse, ni de remerciements. On n’a jamais eu de nouvelles de ce couple.

 

Bizarre! Mais mon mari était très heureux de les avoir aidés. Le Bon Dieu fait bien les choses. Le couple en question aurait probablement trouvé la mort dans ce banc de neige en pleine grosse tempête.

Une nouvelle maison

Quand arrive le mois d’avril, les enfants sont heureux de pouvoir s’amuser dehors sans trop s’emmitoufler. On peut aussi penser à ensemencer le jardin et le petit champ à la fin du mois.

 

L’année de mes dix ans, mon père a décidé d’acheter la grande maison de son frère qui partait vivre en Ontario. On était tellement excité en voyant la maison arriver près de chez‑nous, une patente tirée par des chevaux. Quelque chose a brisé quand la maison était presque dans notre

entrée et elle a passé trois jours là, avant que les déménageurs puissent réparer le tout. Les enfants des voisins étaient de la partie.

 

C’était une aventure pour tous dans le village. Cette maison fut attachée à la nôtre. Les hommes ont travaillé longtemps avant que tout soit prêt. Mais quand tout fut fini, on avait enfin de la place pour bouger. Mes parents avaient une chambre en bas et nous avions chacun notre coin au 2e étage. Pas de porte, mais de vieux draps pour avoir un peu d’intimité. Papa nous a fabriqué chacun une sorte de bureau ou tablette afin d’y placer notre linge. Maman était ravie de tout ce changement. On était tellement à l’étroit dans notre première habitation qui ne mesurait que 14’ x 20’. Les parents et huit enfants entassés dans un espace si petit avec juste une fenêtre. 

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Notre première maison à Sainte-Geneviève - 1932

Là, nous avions tous une chambre avec une fenêtre. C’était le paradis sur terre. Papa avait aussi bâti un sous-sol pour installer les deux maisons dessus. De la place pour ses quelques outils. À l’automne, on y rangeait le bois nécessaire pour se chauffer l’hiver et maman pouvait y entreposer ses conserves. Mes parents n’avaient pas une bonne santé, mais ils ont travaillé fort pour nourrir et loger leurs enfants. Pour les vêtements, ma grand-mère travaillait pour des familles aisées et l’on héritait de leur linge. On ne s’est jamais couché affamé. Il n’y avait pas toujours de bonnes choses à manger, mais on en avait assez et l’on était heureux chez‑nous.

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Les parents de Blandine,
Marcel et Joséphine Legal, août 1958

Les blagues à Blandine

En même temps qu'elle écrivait cette chronique, Blandine a régalé nos lecteurs de blagues « propres » recueillies tout au long de sa vie. Ne manquez pas de visiter Les blagues à Blandine!

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