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Le récit de l’Arbre de Vie

« Au commencement qui n’a pas de commencement, Kije-Manito, le Créateur-de-tout-l’Univers, avait planté un Arbre de Vie, l’arbre sacré, pour tous les Enfants-de-la-Terre. L’arbre était grand, l’arbre était fort, ses racines puisaient dans le ventre de notre Mère-la-Terre et ses branches touchaient notre Père-le-Ciel! Les Enfants étaient protégés à l’Ombre de l’Arbre de Vie, nourris par les Fruits des Sept Grands-Pères. Des fruits de Sagesse, de Courage, d’Honnêteté, de Franchise (Vérité), de Compassion (Générosité ou Amour), de Bravoure, d’Humilité et de Respect envers notre Mère-la-Terre. 

Un jour, un enfant s’éloigna de l’Arbre de Vie et bientôt tous les autres enfants partirent à sa recherche, mais ils perdirent leur chemin. Ils ont faim, ils ont soif, ils se mettent à voler, à mentir et à se disputer. Ils se disputent tellement, qu’ils décident de se séparer. 

Certains vont au Nord, d’autres vont au Sud, certains vont du côté du Soleil Levant, l’Est, et d’autres vont du côté du Soleil Couchant, l’Ouest. Les Enfants-de-la-Terre ont d’autres enfants et encore et encore d’autres enfants qui développent des modes de vie différents selon l’environnement et le climat. Même leur couleur de peau a changé. Ceux du Nord sont Blancs, ceux de l’Est, Jaunes, ceux du Sud, Rouges et ceux de l’Ouest, Noirs.  

Les enfants ont oublié l’Arbre de Vie. Ils ont oublié qu’ils étaient tous Frères et Sœurs, originellement de la même Famille qui provenait de l’Arbre de Vie. Dans sa grande bonté, Kije-Manito donna à chacun des peuples des pouvoirs et des dons. Ceux du Nord reçoivent le pouvoir de l’Air, ceux du Sud, les énergies de Notre-Mère-la-Terre, ceux de l’Est, l’Esprit du Feu et ceux de l’Ouest, l’Esprit de l’Eau. 

Chacun des peuples avait la tâche de prendre bien soin de son pouvoir et de ses dons afin de respecter l’équilibre de la Création. Mais chacun enviant les pouvoirs des autres, les disputes ont continué à se multiplier. Ainsi, il arrive toutes sortes de catastrophes dans le monde. Avec le feu, nous fabriquons des bombes, c’est la guerre, la destruction, l’air est maintenant pollué et l’eau contaminée. Les pouvoirs des éléments se sont retournés contre les Peuples de la Terre. Et, Terre-Mère pleure d’avoir perdu ses Enfants qui ont faim, qui ont soif, qui sont malades et qui meurent chaque jour.  

Mais qu’arrive-t-il à l’Arbre de Vie? (Ici, je m’arrête et interroge les Enfants de la Terre et, recueillant leurs multiples réponses, nous continuons ensemble le récit pour conclure)  

Les Aînés racontent que l’Arbre de Vie existe toujours, mais dans le cœur de chacun de nos enfants. Certains disent que si tous les Enfants-de-la-Terre revenaient au Centre de la Création, où siège l’Arbre de Vie, celui-ci pourrait faire de nouvelles feuilles et de nouveaux fruits que les enfants mangeraient. D’autres racontent que si tous les Enfants-de-la-Terre partageaient leurs pouvoirs et leurs dons en se donnant la main dans le Grand Cercle de l’Unité, alors l’Arbre de Vie deviendrait un Arbre de Paix planté sur la montagne la plus élevée de la Terre! (Le tout se terminant par un chant d’allégresse au tambour). » 

Les grands-parents

Analyse réflexive 

Nous pouvons nous demander pourquoi j’ai revitalisé ce récit. Quelle est sa pertinence aujourd’hui? Dans le dernier livre que j’ai publié (2013), j’explique ce qui m’a motivée à concevoir ce récit tel que je vous l’ai présenté et partagé. Durant ma carrière d’artiste et de pédagogue, il y a de cela presque trente ans : 


En tant que porteuse de la tradition des « arts vivants », je monte des projets pédagogiques en collaboration avec les enseignants du niveau primaire et secondaire pour transmettre des EKINAMADIWIN (enseignements traditionnels autochtones). Ces ateliers comportent deux volets : une partie animation et une partie réalisation artistique. Ces projets s’articulent autour d’une thématique globale intitulée La Roue Sacrée ... une appellation plus accessible que j’ai mis de l’avant pour parler des EKINAMADIWIN qui proviennent de la Roue Médicinale autochtone basée sur les principes des quatre directions, couleurs et pouvoirs de la Création qui nous sont donnés. Afin de rendre ce concept moins abstrait et plus tangible dans l’imaginaire de l’élève, j’ai décidé de partager ma propre démarche artistique qui s’inspire de récits fondateurs, ainsi que des signes et symboles traditionnels puisés dans le répertoire des pictogrammes du bagage culturel Anishnaabeh. Je pars de l’endroit où se situent les élèves dans leur compréhension du sujet, ensuite, je les amène graduellement dans un univers imaginal par le récit fondateur de l’Arbre de Vie, accompagné du tambour. Puis, par une série d’activités perceptivo-sensorielles et d’images symboliques, ils sont amenés à exercer leurs facultés sensitives et intuitives en rapport avec le monde des pictogrammes qui les mettent en relation avec la cosmovision des Autochtones. Cela se fait, notamment par des exercices créatifs permettant de faire des correspondances dans lesquelles l’élève trouve plusieurs interprétations possibles au symbole créé, selon le contexte où il le situe. 

Dans un contexte pluriculturel canadien, il m’a semblé important d’œuvrer à la prévention de la discrimination raciale et sociale sous toutes ses formes, en rappelant aux enfants ce pour quoi ils sont sur la Terre. Les rétroactions sont diverses chez des groupes dont la majorité sont de cultures religieuses différentes. Faisant des liens avec leurs traditions, notamment chez les Africains pour qui il existe encore en leur mémoire une histoire de l’Arbre Sacré ou des récits de la Genèse, ils reconnaissent que les valeurs qui y sont véhiculées sont semblables aux leurs. Il ne semble pas y avoir de contradiction. Il est fort possible aussi que ce récit, étant très ancien, ait subi des modifications en cours de route sous l’influence du christianisme imposé en Amérique du Nord. Par conséquent, les valeurs qui y sont énumérées correspondent davantage à la nouvelle société religieuse qui s’est développée parmi les nations autochtones. Plusieurs termes portent à interprétation multiple, par ex. : Compassion qui a été remplacée par Amour, etc. J’emploie des termes symboliques reconnaissables puisés dans la langue ancienne permettant une réflexion. Qui sont les Enfants-de-la-Terre? Qui sont les Sept Grands-Pères? De plus, les peuples des Amériques ont développé chacun une version en lien avec leur histoire géoculturelle. Il n’existe aucune seule et unique bonne version. Il est intéressant de constater qu’il y aurait un récit fondateur qui unirait toute l’humanité sous le même Arbre, même si celui-ci prend différentes formes et symboles. Plus nous écoutons, étudions et méditons sur les paroles de ces récits, plus nous élargissons notre compréhension de ce grand récit universel. 

Références : 

 

  • (2013) Contré Migwans, Dolorès. Une pédagogie de la spiritualité amérindienne NAA-KA-NAH-GAY-WIN, chapitre 4, p. 103 à 130, extrait 4.1. Ma pratique de Meno Abtah, p.105. Édition L’Harmattan. ISBN : 978-2-336-30299-7. 

 

  • (1984) The sacred tree, Four Worlds Development Press, U. Lethbridge, Alberta. 

 

  • (2013) L’Arbre Sacré, version française traduite de l’anglais, Chef Phil Lane Jr. Préface de Jane Goodall, Éditions des Plaines. ISBN : 978-2-89611-250-0

Note sur l’auteure : En tant que métisse-Anishinaabeh des Grands Lacs (Ontario), ce récit très ancien lui a été rapporté par bribes et elle a dû le reconstituer et l’adapter à des fins de transmission dans un contexte éducatif. Dolorès Contré Migwans est une artiste-formatrice et elle dirige le Cercle d’apprentissage Docomig dans le but de transmettre les connaissances et le savoir-faire autochtones. À travers une démarche transculturelle et artistique, elle utilise une approche perceptivo-sensorielle et psycho spirituelle, qualifiée de « pédagogie par symboles ». Elle enseigne les Traditions spirituelles autochtones à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’UdeM. 

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