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À l’aube de 2007, année des 18 ans d’Élianne, la vie est belle. Elle étudie en bio-écologie et se dirige en biologie marine. Elle est athlète en vélo de montagne, a un amoureux et part pour le Mali visiter son frère et sa famille... Élianne est heureuse. Jusqu’à la journée fatidique où sa vie bascule.

Les textes de cette chronique proviennent d'extraits de courriels envoyés à la famille par Jocelyne, sa maman. L’histoire d’Élianne m’a bouleversée et je voulais vous donner la chance de la lire. Pour vous faire connaître un peu Élianne, nous avons débuté cette chronique dans le numéro de mai 2017 par son voyage au Mali avec Jocelyne. Nous vous recommandons cette lecture préalable. MISE EN GARDE : certaines images et textes peuvent heurter la sensibilité des personnes non averties.

Ça pourrait-ti ben aller?

27 juin 2007

 

Il fait chaud en ville! Heureusement qu'Élianne a l'air conditionné dans sa chambre et comme j’y suis souvent, cela nous rafraîchit.

 

Bon changement de garde hier. Le Dʳ Giasson a pris le relais avec, je crois, beaucoup de perspicacité. Il pense qu'Élianne a eu un sevrage de narcotiques beaucoup trop rapide, il me dit qu'elle a tout à fait un profil de « délirium », peut-être accentué par la prise très (trop) régulière d'Ativan depuis une semaine. Selon lui, le sevrage aurait dû être plus graduel, là c'est plutôt brutal et elle est trop dans un état adrénergique : pulsation et TA dans le plafond. Nous avons beaucoup jasé et il m’a expliqué que parfois les médecins vont trop vite, ils ont la crainte que ce soit les médicaments qui empêchent les gens de sortir de leur coma. Dans le cas d'Élianne, elle a montré plus de signes d'éveil sous narcotiques que sans. Son plan de match : on oublie le Ritalin pour l'instant, trop adrénergique, il veut plutôt la ramener à des valeurs normales.

 

Je crois que le sevrage du respirateur s'est fait trop vite lundi, les inhalothérapeutes d'hier m'ont tous dit que l'on ne peut pas partir avec une aide à 30 (l'aide qu'elle reçoit du respirateur) et tomber à 0, il faut procéder graduellement et pour eux, il était évident qu'elle ne pouvait pas supporter cela. Le Dʳ Albert était finalement beaucoup trop pressé avec elle, sur tous les plans, et son infirmière, de lundi, ne l'a pas assez surveillé pour remarquer qu'elle était épuisée d’avoir passé presque deux heures sans respirateur. De plus, au cours de la même journée, l'inhalothérapeute était visiblement inexpérimentée.

 

Le Dʳ Giasson lui refait passer des examens au scanneur aujourd'hui : cerveau, bras gauche et thorax. Il dit que s'il reste des abcès au poumon gauche, ils iront les drainer cette semaine. Elle aura aussi une gastrostomie afin de mettre le tube qui la nourrit directement dans son estomac au lieu de passer par le nez.

 

Hier, ma sœur Chantale m'a aidée et on lui a plus ou moins lavé les cheveux, en fait, on a nettoyé son fond de tête qui était plein de croûtes et de pellicules. Elle a semblé apprécier, elle se fermait les yeux et avait l'air de relaxer. Toujours aussi peu de contacts, quoiqu'elle a semblé plus présente, pendant quelques minutes, lors de la visite de la physiothérapeute. Le monsieur qui fait le ménage aussi me disait que le matin, très tôt, elle le suivait des yeux pendant qu'il vidait ses poubelles.

 

Autre source d'inquiétude, hier soir, vers 22 h, lorsque je m'apprêtais à partir, j'ai remarqué que sa cuisse droite était énorme, très enflée jusqu'au genou. Le résident est venu voir, il a fait faire des prises de sang qui n'ont pas révélé grand‑chose, on sent ses pouls pédieux et autres, elle est déjà sous héparine donc peu de risque de faire une phlébite. À ma demande, on l'a mesuré pour comparer avec l'autre cuisse : presque deux pouces de différence, la peau est aussi indurée, mais il ne semble pas y avoir de rougeur, d’éruption cutanée ou de chaleur.

 

ÇA POURRAIT-TI BEN ALLER???

 

Le Dʳ Giasson n'avait pas de bonnes nouvelles du scanneur cérébral : atteinte (d’un genre d’hématome) au lobe frontal droit, avec tout ce qui pourrait y avoir comme séquelles (mais je vous en reparlerai, car je n'en ai pas le courage cette nuit), plus atrophie du cortex de façon généralisée et mettons « modérée », si on peut parler ainsi pour faire une distinction entre légère et sévère, mais qui pourrait compromettre sérieusement ses chances de récupération. Il ne peut pas se prononcer davantage, mais ce n'est pas le résultat qu'il aurait voulu, le scanneur a démontré des dommages qui peuvent laisser des séquelles importantes. Il s'est même mouillé en me disant que si c'était sa fille, il n'est pas certain qu'il voudrait continuer. En fait, il nous prépare à prendre des décisions si d'autres complications importantes surviennent. Il reste quand même que ce n'est pas impossible qu'elle puisse avoir une certaine récupération, personne n'ose se prononcer là-dessus.

 

JE NE SAIS PLUS QUOI PENSER, JE SUIS COMME UNE BOMBE AMBULANTE.

 

29 juin

 

Nouvelle rencontre avec le Dʳ Giasson, qui nous a répété les mêmes choses que la veille concernant les résultats du scanneur, l'atrophie du cortex est bien là, cependant ils ont trouvé, avec la résonance magnétique, qu'elle a encore une petite zone enflée sous le cortex qui, si j’ai bien compris, s'expliquerait par une pression artérielle assez élevée qui maintient cet œdème si longtemps après.

 

Cette petite zone enflée vient un peu « améliorer » le portrait en ce sens qu'elle laisse supposer qu’il peut y avoir de l’amélioration quant à l'étendue de la zone atteinte. Tout ce qu'il nous a dit et répété demeure vrai, cependant, hier soir, il était plus nuancé, en nous disant bien que sa récupération risquait d'être très difficile et pourrait lui causer de graves séquelles, mais que seul l’avenir nous le dira. Pour lui, il reste vrai que si des complications importantes survenaient, nous aurions à nous demander si l’on doit intervenir ou non.

 

Autres choses : pour sa cuisse il y a une grosse partie de son quadriceps droit qui est mort, ce muscle sera en fin de compte totalement inutilisable, ce qui implique automatiquement le port d'une orthèse pour marcher. Il semble que son muscle avait commencé à se détruire il y a qq semaines, de façon un peu sournoise, car quand ses CK (enzymes musculaires) ont monté en flèche, ils ont bien cherché d'où cela pouvait venir et n'ont pas trouvé. Quand ils ont ouvert la cuisse, à la suite de l'enflure soudaine, ils ont trouvé du muscle mort à l’endroit où il y avait un saignement, c’est d’ailleurs ce qui a provoqué l'enflure. Là j'espère que cette plaie ne n'infectera pas, elle est ouverte avec un drain et hier, le résident en ortho, qui a défait le pansement pour l'examiner, a touché directement la plaie avec des gants non stériles. Je m'en suis plainte au Dʳ Giasson qui va y donner suite. Ses poumons : abcès toujours à la base gauche, lobe inférieur. Il espère ne pas avoir à intervenir, si l'infection demeure sous contrôle, ils espèrent que le temps fera son œuvre, sinon, il faudra faire une chirurgie thoracique qui impliquerait de tout ouvrir, par le côté, pour aller débrider le lobe inférieur gauche, c’est une chirurgie importante qui dure plusieurs heures. Le Dʳ Giasson a consulté sa collègue la Dre Choinière, chirurgienne thoracique, et ils ont décidé d'attendre, à moins de problèmes pulmonaires trop importants. Pour l'instant, elle est une vraie usine à sécrétions, mais sa fonction pulmonaire reprend du mieux, ils ont beaucoup baissé l'aide qu'elle reçoit du respirateur, et le taux d'oxygène aussi.

 

Durant les prochains jours, le Dʳ Giasson veut se concentrer sur son cerveau, il maintient de petites doses régulières de morphine, en tenant compte qu'elle a probablement de la douleur à sa cuisse et qu'il veut faire le sevrage graduellement. Il continue d'espacer les doses d'Ativan pour la sevrer tranquillement. Il a prescrit un antihypertenseur pour diminuer sa pression artérielle en espérant faire disparaître la dernière zone enflée dans son cerveau et il envisage aussi une ponction lombaire aujourd'hui, il profitera du fait qu'elle n'a pas d'héparine pour faire cela et ponctionner ce qui reste dans son bras gauche.

 

En soirée hier, Élianne était vraiment comme avant son dernier « éveil », pas très loin. Elle suivait des yeux nos conversations autour d'elle. Elle avait les yeux fermés pendant que je parlais avec Nico, lui sur un côté du lit, moi sur l'autre, et ses orbites allaient d'un côté à l'autre selon qui parlait. Elle a aussi suivi le mouvement du Dʳ Bernard quand il est venu à son chevet et qu'il s’est promené sur le bord du lit en parlant. J'aime mieux la voir ainsi que loin, loin, loin.

 

Je pense qu'il faut lui laisser sa chance, c'est elle qui nous dira à long terme ce qui est acceptable ou non pour elle. Je me suis couchée plus apaisée hier, plus confiante, je veux garder encore un peu d'espoir et l'accompagner dans cette épreuve.

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