les voix humaines sont intarissables
je suis couché pour mieux entendre
ces bruits de ferraille en mouvement
dans des villes étrangères
sous les ordres d’officiers modernes
réalistes comme des billets de banque
j’entends aussi
le claquement de la panique
dans les maisons éventrées
ailleurs c’est la déchirure d’une explosion
dans un marché animé de bonnes intentions
les hululements soulèvent les cercueils
j’écoute attentivement
les appels lancinants des affamés
le choc mou des diamants sur les bras amputés
les cataclysmes débordants
qui noient les tentatives de survie
les déserts qui rhizoment la planète
et grisonnent les continents
puis ce sont les discours soucieux
qu’assaisonnent le fatalisme d’experts lointains
et les concerts plus grands que nature
qui proposent des images mondialisées
pendant une brève période anxieuse
pour se sentir bien de se sentir mal
j’ai les oreilles ouvertes
au grondement des machines
dans leurs enceintes d’acier
où ça travaille de plus en plus
ailleurs qu’ici
je suis attentif
au crissement des pneus neufs
dans la nuit surchauffée
à l’écho des idées de grandeur perdues
lorsque s’éteignent les lumières
sur les marquises optimistes
au grincement des chariots d’épicerie
poussés par des ombres obstinées
qui chassent des trésors dans les rues
et aux murmures des enfants
dans les lits envahis
je discerne
la rage enfouie de tous ceux et celles
qui en ont assez du malheur de vivre
comme des chiens agités
prêts à faire n’importe quoi
pour ressentir quelque chose
parce qu’il faut bouger dans le vent
ne pas geler sur place comme un cri primal
enfermés impuissants
dans un rêve de liberté monochrome
je me concentre
pour reconnaître le son clair
des gestes de complicité lucide
dans les quartiers dévastés
ces femmes et ces hommes
qui coulent des fondations solides
pour loger leur vie
mes tympans vibrent
dans le silence réparateur des jours d’éclaircie
les voix chaudes des conversations nourries
pour se raconter des nuits glorieuses
et surtout la musique
les chansons d’espérance immense
et de révolte sourde
les notes voyageuses offertes à l’air ambiant
quand ce n’est pas la nonchalance étudiée
du rire contagieux de tous ceux et celles
qui résistent aux intrusions incessantes
j’entends ce que je peux capter
au-delà des murs poreux
une rivière de paroles en crue
(janvier 2008)
Extrait du recueil soubresauts de Charles Leblanc,
Les Éditions du Blé, 2013