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les voix humaines sont intarissables, de Charles LeblancLecture d'Emmanuelle Rigaud
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les voix humaines sont intarissables

je suis couché pour mieux entendre

ces bruits de ferraille en mouvement

dans des villes étrangères

sous les ordres d’officiers modernes

réalistes comme des billets de banque

j’entends aussi

le claquement de la panique

dans les maisons éventrées

ailleurs c’est la déchirure d’une explosion

dans un marché animé de bonnes intentions

les hululements soulèvent les cercueils

j’écoute attentivement

les appels lancinants des affamés

le choc mou des diamants sur les bras amputés

les cataclysmes débordants

qui noient les tentatives de survie

les déserts qui rhizoment la planète

et grisonnent les continents

puis ce sont les discours soucieux

qu’assaisonnent le fatalisme d’experts lointains

et les concerts plus grands que nature

qui proposent des images mondialisées

pendant une brève période anxieuse

pour se sentir bien de se sentir mal

j’ai les oreilles ouvertes

au grondement des machines

dans leurs enceintes d’acier

où ça travaille de plus en plus

ailleurs qu’ici

je suis attentif

au crissement des pneus neufs

dans la nuit surchauffée

à l’écho des idées de grandeur perdues

lorsque s’éteignent les lumières

sur les marquises optimistes

au grincement des chariots d’épicerie

poussés par des ombres obstinées

qui chassent des trésors dans les rues

et aux murmures des enfants

dans les lits envahis

je discerne

la rage enfouie de tous ceux et celles

qui en ont assez du malheur de vivre

comme des chiens agités

prêts à faire n’importe quoi

pour ressentir quelque chose

parce qu’il faut bouger dans le vent

ne pas geler sur place comme un cri primal

enfermés impuissants

dans un rêve de liberté monochrome

je me concentre

pour reconnaître le son clair

des gestes de complicité lucide

dans les quartiers dévastés

ces femmes et ces hommes

qui coulent des fondations solides

pour loger leur vie

mes tympans vibrent

dans le silence réparateur des jours d’éclaircie

les voix chaudes des conversations nourries

pour se raconter des nuits glorieuses

et surtout la musique

les chansons d’espérance immense

et de révolte sourde

les notes voyageuses offertes à l’air ambiant

quand ce n’est pas la nonchalance étudiée

du rire contagieux de tous ceux et celles

qui résistent aux intrusions incessantes

j’entends ce que je peux capter

au-delà des murs poreux

une rivière de paroles en crue

 

(janvier 2008) 

Extrait du recueil soubresauts de Charles Leblanc,
Les Éditions du Blé, 2013

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